Steven Speilberg, que l’on ne présente plus, est un réalisateur multigenre capable de produire des films très différents. Films légers avec des enfants en vedette (l’assez récent super 8), blockbuster de science-fiction inventifs et efficaces (minority report, la guerre des mondes), aventure fun (indiana jones, tintin), horrifique ( les dents de la mer , Jurassic Park) et œuvres historiques ( La liste de Schindler, Munich , il faut sauver le soldat Ryan ) (et il s’en trouve quand même pour dire qu’il ne se renouvelle pas assez…). Si son dernier « cheval de guerre » souffrait d’un traitement plutôt léger, la plupart de ces films historiques apportent un éclairage intéressant sur divers époques historiques (Munich et Lincoln) et pour certains ne cachent rien de la réalité des événements (il faut sauver le soldat Ryan, la liste de Schindler).


En 1945, le monde tremble après la première utilisation d’une bombe atomique, à la puissance effroyable. Des années plus tard, les russes sont parvenus à obtenir les secrets de fabrication et possèdent eux aussi une capacité de destruction équivalente aux Etats-Unis. Des deux côtés la crainte est partagée d’une attaque ennemie dévastatrice, d’une escalade entraînant la fin du monde. La guerre se joue donc dans l’ombre, à coup d’espionnage. James Donovan (Tom Hanks) est un avocat intègre et profondément respectueux des lois. Quand on lui demande de juger un espion accusé, il prend sa défense au sérieux alors que tout le monde, l’opinion publique comme les juges eux-mêmes, l’ont déjà condamné. C’est un espion, un étranger, de ceux qui veulent nuire au mode de vie américain et menacer jusqu’à leur vie, non seulement il ne mérite pas les mêmes droits mais devrait être exécuté sur le champ. Le jugement que l’on lui demande d’exécuter n’est qu’un simulacre, pour faire croire que la justice américaine n’est pas oubliée, mais l’avocat entend bien ne pas faire d’exception, quitte à se mettre à dos l’opinion publique. Cette dernière, apeurée, ne comprends pas ses choix, elle ne veut pas entendre parler de justice, et certains parlent même de trahison. Mais James ne sait pas encore dans quelle aventure il embarque…


Dans le même temps, un soldat américain est fait prisonnier. A l’autre bout du monde, même son de cloche, même jugement devant une foule vindicative. Mêmes espoirs des militaires de faire parler leur prisonnier, même crainte de l’autre côté que leur homme emprisonné craque. Un échange est envisagé, mais la situation se corse lorsqu’un étudiant est arrêté en RDA. Cette dernière, non encore acceptée comme nation par les Etats-Unis, alliée à l’URSS mais sans avoir les mêmes intérêts, aimerait quand à elle échanger ce prisonnier contre l’espion russe, et bénéficié enfin d’une reconnaissance. James refuse de laisser un innocent prisonnier et envisage de l’échanger lui aussi. Le gouvernement américain lui, ne pense qu’à récupérer le soldat avant qu’il ne dévoile des secrets, la libération de l’étudiant apparaît comme très secondaire. Embarqué malgré lui dans un jeu de dupes, entre les jeux des nations, les méfiances et les mensonges, les intérêts divergents, James Donovan tente à lui seul, sans soutien de son gouvernement, en jouant avec la RDA et l’URSS, de faire libérer les deux prisonniers en échange de l’espion russe.
Ne se laissant jamais démonter, par les menaces, les tentatives d’amadouement ou de raisonnement, remettant sans hésiter ses interlocuteurs à leur place lorsque c’est nécessaire, James Donovan se fait l’incarnation de la justice morale rapidement oubliée en temps de guerre, et plaide avec ferveur comme Tom Hanks l’avait déjà fait avec son personnage dans « Philadelphia ».


Il embarque alors à Berlin, au moment même où le mur se construit, séparant subitement les gens, avec d’un côté plus aucune possibilité de partir. Et gare à ceux qui essaieraient de passer, ils se font fusillés sans hésitation. Images de désolation à l’est, où les habitants œuvrent dans des ruines qu’ils n’ont pas droit de reconstruire, des gangs de jeunes volant les passants. Une ambiance accentuée par la neige abondante et le froid que l’on devine mordant.


« Le pont des espions » n’a pas vraiment le côté horrible d’un soldat Ryan ni d’un Schindler. Mais à l’image d’un « Lincoln », le contexte historique, et la réflexion qu’il procure trouve encore un écho particulier de nos jours, où une nouvelle chasse aux sorcières semble se préparer et où le gouvernement envisage d’enfreindre les droits de l’homme. Quand on pense que les gens à cette époque n’avaient pas seulement peur de quelques attentats terroristes mais d’une annihilation totale, on comprend alors comment ils appellent facilement aux exécutions, et comment des gens ordinaires peuvent céder à la vindicte populaire et trouver réconfort dans le patriotisme.
S’il y a bien une chose que le film montre bien, c’est que même ennemi les Etats-Unis et l’URSS emploient les mêmes méthodes et partagent des points communs par bien des manières. Ils envoient des hommes qu’ils préfèreraient voir morts plutôt que de les voir livrer des secrets militaires, ils manipulent l’information, les hommes restent fidèles à leur engagement malgré la crainte de ne plus revoir leur pays ou leur famille. Une intégrité qui unira l’avocat et l’espion russe. Et bien sûr, chacun des deux pays craignent que l’autre n’attaque en premier et met tout en œuvre pour s’assurer d’être au courant d’une telle attaque.


Pourtant malgré son évident intérêt thématique et historique, quelque chose m’empêche d’être totalement emballé par ce film. Est-ce quelques longueurs ? Ou un côté un peu trop formel qui se dégage ? Car à voir cet homme lutter envers et contre tout, et parfois même en dépit du bon sens, risquant même de faire capoter la mission, pour des principes moraux, devenir presque énervant dans sa droiture qui n’accepte aucun compris, et parvenir malgré tout à faire triompher la justice morale en dépit du sac de nœud géopolitique, cela sonnait presque comme une histoire trop belle pour être vraie. Sauf qu’il s’agit bien manifestement d’une histoire vraie. Ce qui m’incite à me demander quelle est la part de vérité dans cette retranscription.
Mais peut-être qu’en dépit de son intérêt historique, le film souffre d’un certain académisme ? L’avocat est un personnage qui me semble manquer de réalisme, en dépit de la bonne performance d’acteur. Il n’hésite pas vraiment sur la marche à suivre, sûr de son bon droit, et lors du coup de poker final, il semble être persuadé que son plan va marcher, alors qu’un échec aurait de fâcheuses conséquences…


Un bon film, indéniablement, mais qui ne me marqua pas plus que ça. Peut-être n’avais-je tout simplement pas l’humeur adéquate…

Enlak
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le 22 déc. 2015

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