En 2022, le studio The Saul Zaentz Company, détenteur historique des droits d’adaptation cinématographique et dérivés de l’univers de The Lord of the Rings, estime que la Warner Bros., qui exploite ces droits depuis les films de Peter Jackson, a suffisamment profité de la licence. Une tension s’installe alors entre les deux entités : d’un côté, Zaentz souhaite renégocier ou reprendre le contrôle d’une partie des droits ; de l’autre, Warner Bros. cherche à démontrer qu’elle exploite encore activement la franchise afin de préserver sa licence d’exploitation. Dans ce contexte d’incertitude juridique et commerciale, le studio annonce le développement d’un film d’animation tiré des appendices des romans The Lord of the Rings, un moyen de maintenir la franchise en vie tout en respectant les obligations contractuelles liées à la détention des droits.
J. R. R. Tolkien, dans les appendices qui concluent ses romans The Lord of the Rings, avait esquissé de nombreuses histoires secondaires, souvent à peine évoquées mais riches en potentiel narratif. Ces textes, considérés comme un prolongement de la Terre du Milieu, offrent une matière première idéale pour de nouvelles adaptations. La Warner Bros. choisit d’y puiser le récit de Helm Hammerhand, un roi légendaire du Rohan dont le nom est intimement lié au Gouffre de Helm, la forteresse emblématique. Le film d’animation entend ainsi explorer une ère antérieure à celle de la trilogie, tout en s’ancrant dans une mythologie familière aux spectateurs des films de Peter Jackson.
Kenji Kamiyama, cinéaste et animateur japonais reconnu pour ses travaux dans l’animation de science-fiction, notamment sur la série Blade Runner : Black Lotus, également produite par Warner Bros., se voit confier la réalisation. Son style, mêlant réalisme technologique et sensibilité épique, attire l’attention du studio. Le scénario est confié à Jeffrey Addiss et Will Matthews. Ensemble, ils posent les bases d’un récit centré sur le destin tragique et héroïque de Helm Hammerhand et sur la genèse de la culture guerrière du Rohan.
Philippa Boyens, co-scénariste oscarisée de la trilogie The Lord of the Rings, est appelée par la Warner Bros. afin d’assurer la cohérence artistique et narrative avec les films de Peter Jackson. Elle rejoint le projet à la production pour garantir une continuité esthétique et thématique avec les films live-action. Cependant, insatisfaite du scénario proposé par Addiss et Matthews, elle décide de le réécrire avec une nouvelle équipe : sa fille Phoebe Gittins et son partenaire Arty Papageorgiou. Ce choix suscite quelques critiques, certains y voyant une forme de népotisme, mais il permet au film de retrouver une proximité tonale et émotionnelle avec la trilogie originale.
En 2024, The Lord of the Rings : The War of the Rohirrim sort dans les salles après une production accélérée. Le calendrier de sortie resserré répond à un impératif stratégique : éviter la perte des droits d’exploitation sur la franchise.
Deux éléments me frappent immédiatement lors de mon visionnage, et le premier est sans conteste l’animation. Elle suscite un sentiment étrange, parfois même un certain malaise visuel. Voir un récit issu de l’univers de The Lord of the Rings traité à travers le prisme de l’animation japonaise crée une dissonance inattendue : l’imaginaire tolkienien, profondément enraciné dans les mythes européens, se confronte ici à une esthétique plus orientale, stylisée, parfois mécanique. Le studio d’animation japonais en charge du projet livre un travail inégal : certaines séquences sont splendides et dynamiques, mais d’autres trahissent un manque de finition évident. Ce déséquilibre s’explique sans doute par une production précipitée, conçue pour des raisons plus stratégiques qu’artistiques, laissant peu de temps à l’équipe pour peaufiner la fluidité des mouvements et la cohérence visuelle.
Le second choc, cette fois plus agréable, me vient des oreilles plutôt que des yeux. Dès les premières secondes, la musique fait résonner les thèmes familiers de The Lord of the Rings, puis glisse naturellement vers les motifs propres au Rohan. Immédiatement, la nostalgie agit. Ces notes, comme des échos lointains de la trilogie de Peter Jackson, réancrent l’auditeur dans la Terre du Milieu. En un instant, le film m’a conquis : les premières mesures suffisent à raviver une émotion profonde, presque instinctive, celle du retour dans un univers mythique que l’on croyait clos (la nostalgie fait effet).
Stephen Gallagher, compositeur néo-zélandais déjà impliqué dans la trilogie du Hobbit aux côtés de Howard Shore, signe la bande originale. Son approche s’inscrit dans la continuité de l’héritage musical tolkienien : il réorchestre certains thèmes de Shore, notamment celui du Rohan, tout en y intégrant ses propres compositions. Gallagher réussit ainsi à marier le souffle épique de la musique originelle avec une sensible modernité orchestrale. Son travail ne cherche pas à imiter, mais à dialoguer avec la partition de Shore, une démarche respectueuse qui contribue grandement à la crédibilité émotionnelle du film.
Les personnages constituent un autre point fort du film. J’ai été particulièrement touché par la famille royale du Rohan, dont la tragédie se déploie avec une intensité croissante. L’intrigue suit leur chute progressive, marquée par la perte successive des frères, puis celle du roi Helm Hammerhand lui-même. Pourtant, contre toute attente, le véritable cœur du récit n’est pas Helm, mais Hera, sa fille. D’abord perçue comme une figure secondaire, elle s’impose peu à peu comme la véritable héroïne de l’histoire, porteuse du courage, de la douleur et de l’héritage de son peuple.
Ce renversement de perspective, on le doit à Philippa Boyens et à la réécriture effectuée par sa fille Phoebe Gittins. Dans les textes de Tolkien, Héra n’existe même pas : elle est une invention narrative née de la volonté de donner plus de place aux figures féminines dans cet univers souvent dominé par les hommes (preuve en est : dans le dernier acte, le gouffre de Helm est défendu uniquement pas des figures d’autorités féminines). Boyens et Gittins ont voulu dépasser l’archétype de la princesse guerrière pour créer un personnage inspiré d’une figure historique réelle : Æthelflæd, fille du roi anglo-saxon Alfred le Grand.
Æthelflæd, surnommée la Dame des Merciens, gouverna la région de Mercie au début du Xe siècle, après la mort de son mari. Femme de pouvoir dans un monde d’hommes, elle mena des campagnes militaires victorieuses contre les Vikings, fortifia les villes du centre de l’Angleterre et jeta les bases de l’unification du royaume anglais. En s’inspirant d’elle, les scénaristes donnent à Hera une épaisseur historique et politique rare dans l’animation de fantasy : celle d’une femme contrainte de devenir reine par nécessité, et non par naissance.
Les scènes de bataille sont l’un des plaisirs évidents du film, mais elles souffrent d’une limitation visuelle notable. Là où la trilogie de Peter Jackson excellait dans l’art du plan large, capturant la démesure des champs de bataille et la majesté des armées, ce film d’animation se contente souvent de plans resserrés, limitant la perception de l’échelle et de la géographie des affrontements. Malgré cela, l’action reste lisible, et les affrontements conservent une énergie brute, renforcée par la bande sonore et la tension dramatique.
Je dois admettre que ma passion pour la fantasy me rend naturellement indulgent. J’aime ce genre, même lorsqu’il trébuche, car il nourrit l’imaginaire et fait vibrer cette part d’évasion que peu d’autres genres offrent. Même lorsqu’un film de fantasy est moyen, il parvient souvent à susciter l’émerveillement chez moi. Ce film ne fait pas exception. Oui, j’ai déjà vu le siège du Gouffre de Helm, mais jamais sous cet angle, jamais avec ces personnages, ni avec cette sensibilité. Le film me rappelle que la Terre du Milieu est un monde infini, dont chaque recoin peut encore révéler des histoires nouvelles, des destins oubliés.
The Lord of the Rings : The War of the Rohirrim n’est pas un chef-d’œuvre, mais il est bien plus qu’un simple produit dérivé conçu pour prolonger une licence. C’est un hommage imparfait mais sincère à l’univers de Tolkien, porté par un désir manifeste de raconter une histoire humaine au cœur du mythe. Malgré ses maladresses d’animation et sa production précipitée, il parvient à raviver la flamme, celle du Rohan, mais aussi celle du spectateur qui, le temps d’un film, retrouve la magie d’un monde qu’il n’a jamais vraiment quitté.