On confond trop souvent ce qu'est l'essence d'un vrai mélo avec ses excès caricaturaux, ou, pire, avec ses versions outrageusement ratées. Revenir aux fondamentaux est pourtant simple: on retrouve dans ce Sirk la quintessence du genre, débarrassée de de ces aberrations.


Il y a deux aspects passionnants dans l'histoire de cette permission inespérée dont bénéficie un jeune soldat, en pleine débâcle de Russie, qui rencontre l'amour sur le théâtre des ruines encore fumantes de ses souvenirs d'enfance.
La façon parfaite dont se côtoient la romance et la terrible réalité de la guerre, d'abord. Deux dialogues résument, mieux que toute tentative d'analyse, ce mélange divinement dosé.


-Tu as vu l'étoile filante ? Tu as fait un vœu? demande Ernst à Elizabeth (jusque là, plein mélo archétypal, non ?)
-Oui ! (une pause) ... J'espère que ce n'est pas un bombardier.


Un peu plus tard c'est Elizabeth qui interpelle son jeune amant.
- regarde cet arbre qui a bourgeonné avant tous les autres, avant même l'arrivée du printemps ! N'est-ce pas merveilleux ?
- Je pense que c'est la chaleur de la cabane qui a brûlé à côté, qui a du perturber les bourgeons.


Autant dire qu'il n'y a bien qu'un spectateur doté de la mauvaise foi d'un supporter de foot pour ne voir qu'une simple histoire d'amour, au demeurant superbe, dans cet avant-dernier film du réalisateur allemand.


Car voilà l'autre particularité du film. Montrer la guerre du côté des perdants n'est pas chose si fréquente. Au delà d'un ou deux exemples célèbres, comme peut l'être un inoubliable croix de fer, il faut souvent aller du côté des cinémas allemands, japonais ou italiens, de la deuxième moitié du 20ème siècle, pour trouver des histoires de héros dont les actions glorieuses n'ont pas été légitimés par la bénédiction du bon dieu, qui est, comme chacun le sait, toujours du côté de ceux qui font prévaloir la justice et le bien.


Sirk est natif de Hambourg, mais son cinéma est ici américain, et la singularité et la complexité de son message brouille encore un peu plus l'apparence lisse des choses. Le printemps révèle la putrescence des cadavres, les soldats revenus de l'enfer se font traiter de planqués par les populations restées au pays, les repas aux chandelles se finissent au sous-sol sous une pluie de bombes, et les mécanismes de précipitation vers la défaite des futurs vaincus, en cercles vicieux concentriques, sont superbement étudiés.


Depuis le temps, vous devriez pourtant le savoir: les films ne sont pas vieux ou modernes. Ils ne sont pas en noir et blanc, muets, couleurs ou parlant. Ils ne sont pas asiatiques, européens, africains ou américains. Ils ne sont pas longs ou courts. Ce ne sont pas des westerns, des polars, des mélos ou des péplums. Ils ne sont pas en 3D ou en animations. Les films sont juste intéressants ou non, ratés ou réussis, touchants ou plats. Bref, si vous êtes effrayés par le mélo, soyez rassurés: le temps d'aimer le temps de mourir fait tout simplement partie des (très) bons films.

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le 2 oct. 2015

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guyness

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