Quand la Maison des Idées convie le spectateur à un voyage vers une Terre 828 frémissante de couleurs vintage, c’est tout un pan d’histoire qui se métamorphose sous nos yeux. Les Quatre Fantastiques : Premiers pas instaure dès ses premiers instants une ruche rétrofuturiste où drones, voitures volantes et tubes cathodiques dessinent un futur imaginaire. Matt Shakman signe ici un redémarrage audacieux de la mythique première famille Marvel, offrant une œuvre visuelle vibrante et émotionnellement incarnée, à la fois hommage assumé à l’esthétique des années 1960 et prélude prometteur à une nouvelle ère du MCU.
Dès l’ouverture, on est frappé par un décor rétro‑futuriste remarquable, où les voitures volantes, les bungalows modernes en béton blanc et les intérieurs vintage révèlent une vision spatiale nourrie de pop art, rappelant l’esprit de Jack Kirby. Cette imagerie n’est pas qu’un simple effet de style : elle fonde une identité visuelle forte, soigneusement orchestrée par le directeur artistique, et soutenue par une musique de Michael Giacchino qui mêle clavier analogique et motifs héroïques, évoquant Les Indestructibles tout en affirmant son propre caractère.
Le film saute avec intelligence la longue exposition d’une origin story déjà vue : quatre ans après avoir acquis leurs pouvoirs, Reed Richards, Sue Storm, Johnny Storm et Ben Grimm apparaissent déjà affirmés dans leurs rôles. Ce choix dramaturgique permet de concentrer l’attention sur leurs relations familiales, les tensions morales et l’avènement imminent d’un nouveau-né, introduisant une gravité inattendue à la saga. Le dilemme posé
(sacrifier l’enfant pour sauver la Terre face à la menace de Galactus ou défendre la famille contre un destin cosmique)
donne à l’ensemble une dimension symbolique qui transcende l’action pure.
L’interprétation est le véritable cœur battant de ce film. Pedro Pascal impose un Reed Richards à l’intelligence contenue et au regard toujours en tension entre rationalité et émotion. Vanessa Kirby trouve un juste équilibre entre force protectrice et fragilité profonde lorsqu’elle incarne Sue, associant une élégance naturelle à une fragilité touchante. Joseph Quinn parvient à insuffler à Johnny un charme d’autrefois atténué, tandis qu’Ebon Moss‑Bachrach donne à Ben Grimm une intensité émotive surprenante, malgré sa silhouette de pierre. Leur alchimie familiale fonctionne avec une simplicité sincère, sans artifices.
Sur le plan technique, le film alterne plans larges spectaculaires et gros plans intimes avec une grande maîtrise du rythme. Le montage, fluide, ménage autant l’espace à la contemplation des personnages qu’à l’élan interstellaire. Quelques séquences d’effets spéciaux, notamment une chute vertigineuse à travers l’espace ou la résistance physique de Reed lors d’un combat, évoquent le lyrisme de comics psychédéliques, même si l’on relève parfois un léger flou dans le rendu de certains plans numériques, notamment lors des apparitions de la Surfeuse d’argent.
L’antagoniste — Galactus, campé par la voix grave et implacable de Ralph Ineson — accède enfin à une présence visuelle digne de sa stature cosmique, son aura menaçante étant amplifiée par la silhouette chromée et épurée de la Surfeuse jouée par Julia Garner. Ensemble, ils incarnent une menace existentielle qui, malgré une exploration psychologique limitée, pose les enjeux éthiques du récit avec vigueur.
Cependant, malgré cette ambition émotionnelle et picturale, le film montre ses limites lorsqu’il abandonne certaines intrigues secondaires. Le personnage de la Surfeuse, malgré sa beauté plastique et son rôle narratif fort, ne trouve pas une évolution suffisamment approfondie. Certaines tensions, notamment celles liées à l’opinion publique lorsque les héros refusent de céder l’enfant, sont résolues de manière précipitée et passent parfois pour convenues. Le ton, oscillant entre la comédie légère, la tragédie cosmique et l’introspectif, manque parfois de cohérence, ce qui atténue l’impact émotionnel des scènes les plus dramatiques.
Pour autant, ce n’est pas un défaut rédhibitoire. La sobriété narrative, loin d’en être une, se révèle au contraire un choix de dépouillement stylistique : pas de surenchère d’arcs ou de connectivité cross-over, mais une fresque simple, nette, dont l’horizon est pourtant vertigineux. En cela, Premiers Pas réussit une prouesse rare : équilibrer spectacle et questionnements éthiques, modernité narrative et respect des origines.
Au final, Matt Shakman livre une œuvre en pleine maîtrise de son héritage visuel et idéologique. Les Quatre Fantastiques reviennent ici sous une forme renouvelée, empreinte de nostalgie mais aussi de lucidité, où se mêlent le spectaculaire et la poésie familiale. Si le film ne s’élève pas toujours à la hauteur de ses ambitions philosophiques, il comble un vide créé depuis de nombreuses années, en offrant aux héros de Marvel une incarnation digne, spectaculaire et profondément humaine. Un pas sûr vers un futur cosmique que l’on espère riche en promesses.