Tarantino, c'est ce type de réalisateurs qui a le don de me fasciner autant que de m'agacer. Pourquoi? Parce qu'en tant que spectateur, j'ai l'impression de me faire arnaquer...et j'aime ça.
Prenons "Reservoir Dogs", mon préféré de sa filmo. Une musique à la cool, des types en costards qui débitent un nombre incalculable d'insultes à la minute, un scénario simple, une montée de tension du tonnerre. Et Dieu que c'est bon !
Pareil pour "Django Unchained". Un scénar simplissime, des acteurs talentueux, des scènes de gunfights complètement hallucinées et sur-gores, une résolution complètement irréaliste. C'est assumé, ça prend aux tripes, ça fonctionne. Les gimmicks s'enchaînent à la pelle, c'est toujours presque trop. Alors on sert les dents, on espère ne pas sortir du film avant la fin. Et on en sort pas.
Tarantino m'apparaît comme une sorte de magicien qui captive avec des ficelles énormes. Sauf que cette fois-ci, l'hypnose n'a pas fonctionné.


"Les 8 Salopards" (rhaaa, cette traduction, décidément...), est donc le huitième film de Tarantino (Les "Kill Bill" étant considérés comme une oeuvre unique).
J'ai eu la chance de le voir en avant-première, au cinéma d'Aix-en-Provence, dans son format initial (pour être honnête, je ne suis malheureusement pas assez cinéphile pour avoir apprécié une réelle différence avec le format numérique).
Le synopsis est le suivant: Des voyageurs en diligence traversent les espaces enneigés des Etats-Unis post-Guerre de Sécession et se retrouvent piégés dans une tempête. Ils n'ont pas d'autre choix que de faire escale "chez Minnie", une sorte de relai/auberge gérée par un type louche, qui explique que les propriétaires sont en voyage et lui ont confié la baraque.
Sur fond de frustrations post-guerre, de suspicions quant à la véritable identité de cet hôte, de paranoïa à propos d'une prisonnière valant son pesant en dollars, tout ce beau monde va discuter, s'insulter, se trahir, et finalement...eh ben ça va flinguer (c'est du Tarantino, pas une grosse révélation, donc).


Première constatation: C'est beau. Les paysages enneigés sont filmés à la perfection, la photographie est magnifique.
Au début du film, on suit la diligence qui se remplie petit à petit. Un chasseur de primes (Kurt Russel), et sa prisonnière (Jennifer Jason Leigh), les occupants initiaux, ramassent en chemin Samuel L. Jackson, un autre chasseur de primes, anciennement soldat de l'union, et un ancien confédéré... Ambiance. Les dialogues durant le voyage sont assez plaisants, et Samuel L.Jackson joue à la perfection la douce folie. En effet, si le personnage est calme la plupart du temps, il lui arrive de sortir des répliques inattendues et de rire comme un dément illuminé. Le contraste avec Kurt Russel, bougon et renfrogné marche bien, et c'est surtout sur cette relation que se base la première partie.


Seconde constatation: Le film prend son temps. Vraiment.
Entendons nous bien, je n'ai aucun problème avec ces procédés qui instaurent une ambiance dans la longueur, qui se reposent sur le silence. Mais n'est pas Sergio Leone qui veut, et Tarantino patine un peu, selon moi, dans cet exercice. Les interactions entre les personnages, même quand elles sont réussies, tiennent plus de la discussion aux répliques claquantes qu'à une véritable montée de tension ou création d'une atmosphère. Du coup, on trouve le temps long. On ne sait pas trop où le film nous emmène, un peu comme les passagers de la diligence.


En arrivant "chez Minnie", les voyageurs découvrent qu'ils ne sont pas seuls et qu'une belle bande de potentiels pourris occupent déjà les lieux (avec entre autres, excusez du peu, Tim Roth et Michael Madsen dans le lot).
Et c'est à partir de ce moment, selon moi, que Tarantino échoue à faire ce qu'il a brillamment réussi par le passé: instaurer une véritable tension.
Les mensonges s'accumulent, le pauvre Kurt Russel vire à la parano totale et annonce à tout le monde que personne ne touche à sa prisonnière, Sam Jackson provoque un vieil ex-officier sudiste... Très bien. Mais je ne me sens toujours pas concerné par un quelconque enjeu. Le huit-clos n'est pas oppressant, même si certains détails tentent de créer tant bien que mal une atmosphère malsaine (c'est bête, mais le coup de la porte que tout le monde galère à fermer m'a bien plu).
Les dialogues restent souvent évasifs, c'est bavard. "Mais un Tarantino, c'est bavard !" entends-je. Oui, absolument. Sauf que dans la plupart de ses films, les répliques cinglantes, drôles, ou décalées servies par les personnages créent quelque chose: un décalage avec la situation, un humour noir jouissif, une poussée d'adrénaline.
Si Quentin n'a rien perdu de sa superbe pour écrire les textes de ses acteurs, ceux-ci ne servent pas l'ambiance. Comme s'ils étaient sensés se suffire à eux-mêmes.
C'est d'autant plus dérangeant que les acteurs jouent tous bien, très bien même. Mais je suis resté hermétique à la plupart de leurs interactions qui semblent finalement assez factices, c'est dommage.
La première mort (violente, vous vous en doutez) est bien amenée, et achève de nous ôter tout espoir d'identification à n'importe quel personnage. Tarantino a l'air de dire "Ah, vous le trouviez sympa Sam Jackson, hein? Vlan !" Et pour le coup, il réussit un tour de force que même "Reservoir Dogs" n'avait pas fait: On déteste tout le monde, on perd nos repères de spectateur classique abreuvé de productions manichéennes. C'est déstabilisant, et très intéressant.


Malheureusement, ce qui suit m'a paru bien vain. Les fusillades s'enchaînent sur la base d'un "on ne peut faire confiance à personne". On assiste à un massacre qui vire presque au ridicule tant on est peu concerné par les enjeux. Bras arraché, castration par balles, pendaison... tout y est.
Voir ces acteurs s'agiter, donner le meilleur d'eux-mêmes est d'autant plus pénible qu'on peine à entrevoir un quelconque fond.


C'est un peu comme si Tarantino avait distillé ses gimmicks habituels (langage grossier, dialogues virtuoses, violence exacerbée...) sans qu'ils ne servent une quelconque atmosphère.
De là à dire qu'il s'est contenté de remplir un cahier des charges du "film tarantinesque" pour plaire aux fans, il y a un immense pas que je ne franchirai pas. Je ne remets absolument pas en cause son honnêteté et son implication sincère dans ce film, mais il échoue, selon moi, à nous faire ressentir quelque chose de fort, autre que du dégoût et de l'incompréhension devant cette abondance d'hémoglobine.


En ce qui concerne le flash-back narrant l'arrivée du premier groupe de "salopards" chez Minnie, c'est sans doute le passage le plus intéressant du film. Il est très bien réalisé, et même si les motivations des personnages n'ont rien d'extraordinaire, on ressent, pendant quelques minutes, ce qu'on aurait aimé ressentir pendant tout le film.


Verdict ? Je suis ressorti de la salle avec un goût de déception assez amer. Je me suis ennuyé, la boucherie finale m'a laissé de marbre, je n'ai pas été convaincu par la tension qui aurait du suinter du film.
Mais même un "mauvais Tarantino" reste un film bluffant à bien des égards. Photographie impeccable, acteurs excellents, quelques fulgurances dans les répliques.
"Les 8 Salopards" est un bel objet. Malheureusement trop creux pour être pleinement apprécié, en ce qui me concerne.
Ceci étant dit, je suis tout à fait prêt à donner une seconde chance à ce film dont une partie de l'essence m'a peut être échappé lors de la projection.

Créée

le 11 mai 2016

Critique lue 283 fois

Mr_Step

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