En 1942 à Tobrouk, l’Afrika Korps emmené par Rommel défait l’armée britannique.


L’année suivante, Billy Wilder imagine une comédie d’espionnage au cœur du désert, une haletante halte sur le chemin de l’allemand vers Le Caire, dans un hôtel décharné, tenu par un égyptien aidé d’une française, où s’est réfugié



un soldat britannique rescapé de la déroute.



Sans tenir ni enjeu impressionnant ni suspense insoutenable, Five Graves To Cairo laisse apprécier l’aisance narrative de Billy Wilder qui sait faire oublier la caméra pour offrir libre regard à la mécanique des comédiens, jeux impeccables, et raconter les manigances irrépressibles qui font le soldat engagé et dévoué autant que l’homme désarçonné par une attirance passagère.


Franchot Tone est le caporal britannique, une vivacité réfléchie derrière le sourire franc, charmant jusqu’à la méticulosité de l’accent, le comédien imprègne son personnage d’un souffle d’innocence refoulée sous les engagements du soldat. Anne Baxter est la fatale Mouche, l’accent français au couteau sous des yeux de biche, le cœur plutôt que l’honneur. Autour d’eux, Akim Tamiroff est un Farid pleutre et geignard à souhait, criant son adipeuse trouillardise dans moult gesticulations comiques ; Peter van Eyck, lieutenant allemand aux élans du cœur ouvert aux femmes malgré la hiérarchie, le manipulé idéal ; et l’immense Erich von Stroheim compose un Rommel sévère et borné, porté sur l’avenir à tel point qu’il ne voit la farce qui se joue sous ses yeux, un niais idéaliste porté par les vibrations lourdes du canon et de la conquête.


En plein conflit, Billy Wilder interroge, discrètement sous la comédie et la maille narrative prétexte, les engagements solennels du combat, l’idéal et l’héroïsme, la volonté de sauver le monde, face aux sentiments personnels, à l’instinct de survie, l’amour, des siens, l’amour qui naît malgré les différences. Rie de la confiante ambition aveugle de l’Allemagne qui, gavée d’autosatisfaction, ne distingue pas la force des alliances qui se dessinent sous son nez. Et n’oublie pas d’amener finement le plan de ravitaillement en cours d’avancée de l’Afrika Korps, préparé personnellement par Rommel plusieurs années auparavant, déjoué par l’admirable soldat anglais : les troupes de l’Afrika Korps ne dépasseront pas Al Alamein.


Deuxième long américain pour le scénariste Billy Wilder qui écrit sur le fil de l’actualité et réussit à raconter



les petites histoires de l’homme dans le vent tempétueux et imprévisible de la grande histoire des hommes,



Five Graves To Cairo, est un excellent film. L’histoire des tombes est une des saveurs spécifiques de l’enjeu d’espionnage, ici le titre français convient plus ou moins, Les Cinq Secrets du Désert : les secrets que l’on cache intentionnellement, ceux que l’on tait sans s’en rendre compte, ceux qu’on ignore, ceux qu’on nous cache, ceux qu’on ne veut pas voir. Prédilection pour les mécanismes narratifs complexes, liberté des acteurs pour un heureux art du ravissement de la comédie, le jeune cinéaste commence de poser discrètement certains jalons de l’entertainment discret qui sera son humble marque, qui cache



des portraits sains d’hommes et de femmes libres.



Libres, mais pas toujours heureux.
Pas toujours heureux mais libres.

Matthieu_Marsan-Bach
7

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Créée

le 25 déc. 2015

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