La vie est souvent curieuse. Comment expliquer que je trouve De Palma (sujet d’un de mes récents et habituels courroux) comme un auteur au mauvais goût assumé dans le plus pur esprit baroque insupportable alors que je considère Ken Russell comme un auteur au mauvais goût assumé dans le plus pur esprit baroque passionnant? Ne serait-ce que de la pure mauvaise foi mal digérée ? Un trauma infantile inconscient ? Une pointe de snobisme mal placée?

En tout cas moi, je ne me l’explique pas.

Sauf à considérer que le second possède un réel talent original pendant que le premier n’est capable que d’esbroufe misérablement pompée. Mais j’ai bien peur, en avançant cette tentative d’explication, de retomber dans une partialité de mauvais aloi.
(Et puis c’est bon, laissons le sous-Hitchcock un peu tranquille, merde !)

Prenez ces diables.

Si l’on n’est pas immédiatement subjugué par un aspect graphique et esthétique tétanisant de beauté singulière, plonge-t-on aussi facilement dans les outrances visuelles de l’œuvre ?
Sans être envoûté par ces décors baroques (constitués de briques blanches évoquant toutes les époques sauf celle qui apparait à l’écran), admet-on comme déchirants les tourments qui secouent la grande prêtresse de l’ordre des Ursulines ?
Sans admettre le look improbable de l’abbé Barré (si si) chaussé de ses lunettes punk, juge-t-on recevable cette adaptation d’un faits divers historique, symbole de la reprise en main du pays par un Richelieu politique et habile ?
Repoussé par une scène orgiaque un brin hystérique (dont voici un petit cadeau, sous forme de scène non incluse dans le montage final: http://www.youtube.com/watch?v=n9ia8pKKVhk) a-t-on le recul suffisant pour voir dans ce brûlot aux allures terriblement anticléricales une réflexion parfois profonde sur les tensions politiques d’une époque en plein mutation dont certaines interrogations sont encore les nôtres?
Si on ne voit dans le personnage de Grandier qu’une source inépuisable et gratuite de blasphème visuels, saisit-on le réel dilemme d’un homme incapable de résister aux femmes, mais animé d’une foi réelle et puissante, ouverte (via sa tolérance aux huguenots) et forte (voir la conviction dont il est capable pour défendre les intérêts de sa ville)?

Rien n’est moins sûr.

Ce qui l’est, par contre, c’est que si vous n’avez jamais eu l’occasion de voir ce film ambitieux, fou et souvent génial, votre appétit de cinéma absolu ne sera jamais totalement rassasié. Comment, par exemple, imaginer rater la performance d’un Oliver Reed comme d’habitude habité et incandescent (dans tous les sens du terme)?

Les diables, c’est aussi et enfin ce titre parfait dont on ne sait quel personnage il désigne, un prêtre borderline mais sincère, une sœur supérieure extatique et pétrie de désir coupable, un noble en mission commandée, plein de morgue (c’est lui le hautin) capable de tout pour arriver à ses fins, un exorciste vindicatif cherchant incessamment chez autrui des indices de sa santé mentale ou tous à la fois.

Chez Ken Russell, y a souvent à boire et à manger. Là, c’est buffet de luxe, et à volonté.
guyness

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