Il est des films pour lesquels on se damnerait...

Il y a un avant, et il y a un après Les Diables. Petite production assez méconnue du grand public, ce film est tout simplement introuvable puisqu’il n’a jamais été édité en dvd, et jusqu'à peu dans aucun pays (la warner avait fait une annonce de réédition, avant de revenir sur son louable projet, seule l'édition anglaise Bfi permet désormais de découvrir la bête). Il faut dire que le film est entouré d’une aura de scandale assez forte, et qu’il a fortement secoué les instances morales. Car Les Diables doit être l’un des films les plus outranciers et les plus agressifs envers la religion catholique jamais fait au cinéma. Si Beatrice Cenci ou l'excellent La marque du diable ont pu vous choquer, attendez vous à un tout autre type de baffe avec Les Diables, qui explose littéralement tous les quotas de violences en milieu religieux, s’attaquant méthodiquement à toutes les institutions présentes en France du temps du cardinal de Richelieu. Même aujourd’hui, le choc est tel que bon nombre de spectateurs devraient rester tétanisés devant leur écran.

Oui, The Devils est un film choc monstrueux, qui remet absolument tout le monde à sa place et qui finalement s’attache à faire le portrait d’un homme : le père Grandier. Ce prêtre, d’une bonne corpulence et doté d’une moustache virile, est un tombeur de fille. Il s’en sert pour ses plaisirs, certes, car il aime les femmes et parce que son pouvoir lui permet de tels excès sans grande crainte de châtiment (notons qu’elles sont toutes consentantes sur le moment). Mais si son vœux de chasteté est rompu, ce personnage se révèle un fin diplomate, très habile en politique et en religion. Il a toujours conscience de ses torts, et il sait qu’il a choisi cette voie afin d’acquérir du Pouvoir. Mais si il jouit maintenant des fruits de son ambition, il persiste à croire en Dieu et à exécuter le dessin qu’il se fait de son rôle. En pleine guerre contre les Protestants, il réussit à maintenir les deux religions en paix dans l’enceinte de sa ville et proclame une certaine liberté de culte. Il veut préserver l’indépendance de la ville afin de conserver la liberté de ses habitants et ainsi d’éviter de nouveaux massacres (le sort des protestants sera maintes fois illustrés). Malgré sa vie privée peu reluisante (mais finalement peu débauchée), cet homme a une politique louable, et si son pouvoir vient de son habit, c’est aussi parce que c’est le moyen le plus direct qu’il a suivi pour accéder au pouvoir. Si son comportement avec les femmes qu’il a aimé fait froid dans le dos (il les congédie toutes de manière brutale, parfois enceintes), ses autres traits de caractères tendent à le racheter, et au vu de l’atrocité que constitue les autres institutions, il devient bien vite le personnage le plus sympathique du film. Richelieu est l’exemple parfait du manipulateur fielleux et opportuniste, qui monte tous ses ennemis contre eux (y compris dans les rivalités intestines entre ordres de moines), et qui tente de manipuler sans arrêt le roi de France pour ordonner la destruction des murs de Loudun. Le Roi Louis XIII est une espèce de travelo efféminé qui passe son temps à se divertir dans une cours fréquentée par beaucoup d’homosexuels (connotés ici comme des débauchés corrompus par leur fric) et qui se moque absolument des affaires du royaume, plus occupé par ses prochaines orgies et par l’exécution de prisonniers déguisés en oiseaux qu’il abat depuis son balcon. Quand il ne tourne pas en ridicule les autorités religieuses par une intervention destinée simplement à amuser sa cour… Les sciences sont représentées par un médecin et un apothicaire, des charlatans qui abusent de la crédulité des gens pour leur vendre des remèdes qui ne font qu’aggraver les situations (le coup des frelons appliqués sur les bubons des pestiférés est juste écœurant) et qui se joindront à la religion dès que celle-ci leur proposera de l’argent pour confirmer leurs dires « d’un point de vue scientifique » (que personne ne remettra jamais en cause).

Enfin, la religion catho s’en prend plein la gueule avec Sœur Jeanne, la mère supérieure d’un couvent follement amoureuse du père Grandier et si enfermée dans ses frustrations qu’elle les perçoit sans cesse comme des tentations démoniaques. Le spectateur pourrait croire que son personnage en fait trop. C'est le cas, la mise en scène du film, kitsch, est totalement tournée vers l'excès. Et cela en est même justifié, car sœur Jeanne est l’incarnation d’une idée poussée à son paroxysme. Elle en vient à tellement mélanger religion et frustrations, avec tant de volonté, qu’elle finit par se persuader elle-même d’être possédée. Ses fantasmes, apparaissant sous formes de visions hautement blasphématrices (elle se voit en train de lécher les stigmates du Christ…) et la persuadent tellement d’être en faute qu’elle finit tout simplement par péter un câble monstrueux qui y sera pour beaucoup dans la chute de Grandier. Enfin, l’ultime coup est porté par le personnage de l’abbé Barré, qui pour le coup est vraiment barré. Ce prêtre, spécialisé dans l’exorcisme, taré de première, qui rentre carrément en transe pendant ses séances d’exorcisme, qui parle toujours d’une voie exaltée et prompt à voir le mal partout, est un fervent adepte de la torture. Ou de la douleur purificatrice, au choix. Par exemple, après avoir torturé une femme qui avoue avoir couché avec le démon (classique), il lui fait nettoyer le vagin avec de l’eau bénite bouillante. Cash. Très vite, le film bascule dans la folie religieuse et la débauche de violence totale, ce qui crée un climat de jamais vu dans le monde du drame religieux, tant la notion de folie de masses est poussée jusqu’à son point de non retour. Véritable concentration de tous les maux de l’époque, Les Diables explose littéralement, dans une orgie de kitch et de violence qui n’a aucun égal. Un extrémisme qui rebutera donc certains spectateurs, tant le réalisateur va loin dans son délire sur la folie qui s’empare du peuple dès qu’on agite des menaces sous son nez, grossies par l’obscurantisme ambiant. Véritable orgie de mauvais goût, de violence psychologique (le film est quasi insoutenable à ce niveau là) et physique (si il est un peu moins démonstratif qu’un La Marque du Diable, son suggéré est loin d’atténuer ses nombreuses scènes de torture), Les diables en devient kitch misant davantage sur ses symboles et sur l’excès de son histoire pour faire passer son message radical sur les institutions de pouvoir de l’époque. Une satyre aussi jusqu’auboutiste ne s’était jamais vue, et rivalise en droite ligne avec les films les plus choquants qui ont pu être tournés dans l'histoire du cinéma. Si La chair et le sang avait pu surprendre, Les Diables vous envoie carrément dans les cordes, brut de décoffrage sans jamais ralentir son allure pendant son heure quarante. La mise en scène est plutôt chiadée, et les acteurs s’investissant tous à fond dans leur rôle (l’abbé Barré est tout simplement monstrueux, alors qu’Oliver Reed fait preuve d’un charisme énorme pour son personnage du prêtre Grandier, surtout sur sa fin). Si le film est un brûlot qui donne une nouvelle définition au mot « incendiaire », il risque de diviser son public (qui pourra prendre mal l’excès d’une telle histoire). Il est des œuvres pour lesquelles on se damne, des œuvres uniques en leur genre, qui enterrent tout autre film traitant de l’inquisition car cumulant avec un sens accru de l’excès à peu près tout ce qu’on peut dire dessus, qui plus est avec des personnages crédibles et de purs élans de provocations qui ne manqueront pas de faire réagir n’importe quel public.

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le 21 févr. 2015

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Voracinéphile

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