Je ne suis pas de ceux qui placent Hitchcock sur un piédestal inébranlable, mais il faut reconnaître qu'en termes de gestion du suspense, quand il s'agit de distiller subtilement le venin de la tension, il sait parfois y faire. "Les Enchaînés" en est un très bon exemple, tout en parvenant à surprendre du point de vue du contenu, qu'on imagine assez balisé au départ avant que le film ne prenne une tournure assez différente.


Au final, ce film est beaucoup moins un drame historique avec en son centre la question nazie à la fin de la Seconde Guerre mondiale qu'un mélodrame on ne peut plus sentimental, mais rondement mené. Les personnages sont enchaînés (pas du tout le sens du titre original) à leur amour et leurs devoirs, et cela les rend soit faibles, soit cruels. Le jeu des masques qui tombent ou qui se retirent presque prend le dessus sur tout le reste. Il y a bien sûr des grands moments de suspense, avec notamment le fameux compte à rebours à base de bouteilles de champagne qui s'écoulent... Délicieuse tension qui va crescendo. Le montage parallèle bar/cave est ingénieux, et d'une manière plus générale, la mise en scène fait preuve d'une minutie et d'une rigueur toutes deux délectables.


Cette façon de filmer une tasse de café, un trousseau de clé, ou même de présenter un personnage (Cary Grant, de dos, avec un gros plan sur sa nuque) est inimitable. Tout est au service du triangle amoureux impossible et dangereux, attisant les manipulations de toutes parts (pauvre Ingrid Bergman). Il n'y a pas de personnage fondamentalement bon ici, et même le "méchant" se trouve dans une situation suffisamment inconfortable pour qu'on le prenne en pitié à la toute fin (nouveau plan génial sur des escaliers qu'on monte et une porte qui se referme, appuyé par des jeux de lumière subtils). Au final, en poussant dans les bras d'un autre la femme que Grant aime, "Notorious" revêt les habits d'une histoire amoureuse douloureuse, contrastée. Un film sur la jalousie, le devoir, et les frustrations variées en découlant qui étouffent la classique histoire d'amour.


[AB #131]

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le 1 oct. 2016

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Morrinson

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