Les Enchaînés démarre comme une enquête teintée d'aventure et finit sur un thriller plus noir, porté par des acteurs de haute volée. En premier lieu Ingrid Bergman qui porte complètement du film, avec un rôle complexe qui va de l’oisive nihiliste à l'espionne traquée en passant par l'amoureuse éconduite. Face à elle il y a certes Cary Grant mais surtout l'incroyable Claude Rains, figure bien plus ambiguë, entre jalousie possessive et terreur infantile, plus fascinante que notre agent américain à la mâchoire carrée.
L’histoire est assez simple : utiliser la fille d’un sympathisant nazi pour infiltrer un groupe réfugié en Amérique du Sud et découvrir ce qu'ils trament. Une double romance contrariée vient complexifier l'affaire, notamment en raison de l'orgueil et la fierté de chacun, se blessant pour ne pas se montrer vulnérable. Le film comporte également un humour qui tombe à point nommé et vient contrebalancer avec justesse les moments pseudo-romantiques, notamment à travers le personnage de la belle-mère étouffante.
C’est avec ce type de film qu’on découvre avec bonheur les trésors d'inventivité du réalisateur pour son film : rampe et marchepied pour grandir Rains, tasse géante, travelling en 4 temps sans couture, escalier plus ou moins long selon la tension de la scène … mes plans préférés sont ce fameux zoom depuis le balcon du grand hall jusqu’à la main de Bergman, ou cette vue volée à travers la fenêtre et le rideau, presque voyeuriste, de la jeune femme s’échappant du balcon pour boire un verre. C'est aussi le basculement de l'ambiance quand la cage se referme sur elle, puis à la fin sur Claude Rains, laissé seul avec ses « amis ». On aurait aimé que cette dernière partie, l’enfermement, le poison, la menace de représailles, dure plus longtemps, car c’est la plus terrible.
Par le talent de son réalisateur et l'excellence du casting, Les Enchaînés est une œuvre toujours aussi captivante et magistrale presque 80 ans après sa sortie.