Ce film ne respecte pas le précepte hitchcockien "Meilleur est le méchant, meilleur est le film". Rappelons l'histoire : Alicia (Bergman) est une fille de nazi qui mène une vie de patachon pour oublier les turpitudes de son père. Elle est recrutée par un flic, Devlin (Cary), pour infiltrer un cercle de nazis cachés à Rio qui travaillent pour I.G. Farben. Pour cela elle va jusqu'à épouser Alexander Sebastian (Claude Rains), un quinquagénaire un peu étouffé par sa mère, dont la maison est le QG des nazis, d'où est expédié, caché dans des bouteilles de grands crus, de l'uranium.
L'intrigue autour des nazis est un prétexte : jamais l'idéologie du Reich n'est clairement évoquée, on aurait pu aussi bien choisir des communistes ou des truands. Les enchaînés est surtout l'histoire d'une douloureuse relation amoureuse, celle d'un homme brusque, attaché à ses principes et à son métier, qui rabaisse souvent la femme qu'il aime pour son passé mouvementé, et se retrouve obligé, par les vicissitudes du service, de la pousser dans les bras d'un autre, et ce faisant à la juger encore plus durement, jusqu'au dénouement, assez peu intense, qui résout tout. C'est un film sur la jalousie et la frustration qui étouffe une belle histoire d'amour.
C'est un film que j'avais envie de revoir, que j'ai souvent entamé pour le laisser au bout de vingt minutes, car il est exigeant dans son visionnage, tant il y a de cruauté morale au détour des répliques, voire de violence (j'avais complétement oublié la scène où Devlin assomme Alicia pour prendre le volant). Cary Grant y trouve un de ses rôles les plus torturés et intéressants. Claude Rains est un méchant étonnamment pathétique, dont la mère en revanche n'a pas grand-chose à envier à Mrs Denvers.
La séquence finale où Devlin vient chercher Alicia, empoisonnée, est étirée bien au-delà du vraisemblable, et fonctionne comme un anticlimax, sans violence autre que celle suggérée par la porte qui se referme sur Alexander, scène préparée par plusieurs plans du film. Beaucoup de séquences sont mémorables, le fameux baiser bien sûr, mais aussi ce plan de Devlin visiblement malheureux, seul à une table de café tandis qu'Alicia couche avec Alexander : tout en nuance et en profondeur psychologie. Hitchcock réussit parfaitement à montrer sans évoquer. Et bien sûr il y a tout ce travail sur la lumière voilée (les verres vénitiens, les stores, le brouillard que semble voir Alicia qui n'est autre que ses cheveux pris dans le vent, la scène où, empoisonnée, elle voit les silhouettes d'Alexander et sa mère, barrant la sortie, se déformer et comme se resserrer autour d'elle).