Qui est le film ?
Troisième long-métrage du jeune réalisateur français Nathan Ambrosioni, Les enfants vont bien s’inscrit dans une trajectoire déjà singulière : celle d’un cinéaste de vingt-six ans qui filme les relations familiales comme des zones de tension et de tendresse mêlées. Après Les drapeaux de papier et Tonie en famille, Ambrosioni poursuit son exploration du lien mais celui-ci s’ouvre sur une disparition : Suzanne quitte sa sœur Jeanne et ses enfants, un matin d’été. Le film, présenté en compétition au FIFF, ne cherche pas à résoudre ce mystère, mais à en observer les ondes de choc.

Que cherche-t-il à dire ?
Les enfants vont bien interroge la persistance du lien dans un contexte de perte : comment continuer à aimer et à vivre quand une présence s’efface. Ambrosioni cherche moins à raconter un drame qu’à cartographier la lente sédimentation de son absence. À travers Jeanne, femme libre rattrapée par une responsabilité qu’elle n’a pas choisie, le film observe comment une existence autonome peut, en un instant, redevenir traversée par des contraintes.

Par quels moyens ?
Ambrosioni construit un drame “inversé”. Il choisit de débuter par la catastrophe pour scruter l’après-coup. Ce déplacement structurel révèle un cinéaste intéressé par la texture des jours. Le film se déroule dans ce moment suspendu où la réalité se défait légèrement, où les habitudes reprennent mais contaminées d’un soupçon d’irréalité. Ce que vit Jeanne, c’est une métamorphose involontaire, la nécessité d’endosser un rôle qu’elle n’a jamais voulu. La maternité surgit ici comme une responsabilité exogène imposée par le destin plutôt que choisie.

La disparition de Suzanne (Juliette Armanet) met en évidence une réalité du monde contemporain où l’on peut choisir de disparaître. En France, quatre à cinq mille adultes s’effacent chaque année volontairement. Ce chiffre, anodin dans sa froideur statistique, devient chez Ambrosioni la matière morale du récit. Disparaître, c’est ici, refuser la place assignée, la maternité, la précarité, les rôles prescrits par la société. Mais ce choix de liberté devient un acte de violence collatérale.

Jeanne, la sœur, incarne une autre tension : celle du désir d’autonomie face à la contrainte du lien. Femme libre, séparée, absorbée dans son travail, elle se retrouve brutalement renvoyée à la famille, au soin, à la responsabilité. Son cheminement n’est pas celui d’une rédemption, mais d’une reconstruction pragmatique : apprendre à faire avec. En cela, Ambrosioni propose une version profane du maternage : un amour sans idéalisation, un attachement qui ne guérit rien, mais qui maintient trois mondes debout.

Camille Cottin trouve ici une vérité de ton bouleversante : fatigue, culpabilité, tendresse, refus s’y mêlent sans emphase. Face à elle, les enfants (Manoã Varvat et Nina Birman) incarnent une forme de résistance naïve : ils cherchent, dans le jeu et la routine, à réparer l’absence. Ambrosioni filme les enfants comme des corps amputés, ce qui rend les émotions d’autant plus tangibles.

Le titre, “Les enfants vont bien”, est profondément ironique et pourtant sincère. Il désigne moins une affirmation qu’un acte de résistance linguistique : se persuader que tout ira bien, malgré la perte. Derrière cette phrase, il y a le mensonge nécessaire des adultes, ce petit déni qui permet de survivre. Ce n’est pas tant que “les enfants vont bien”, c’est que l’on doit croire qu’ils vont bien pour ne pas sombrer.

Où me situer ?
J’aime ce film pour sa retenue et sa lucidité émotionnelle. Ambrosioni parvient à rendre la disparition presque palpable dans l’air. J’admire ce refus de la sur-explication, cette fidélité au silence. Mais malgré tout ce que le film met en place, j’ai parfois le sentiment qu’il aurait pu aller plus, on sent une pudeur si grande qu’elle finit, par moments, par lisser la rugosité du réel qu’il décrit. Le film touche juste, mais pas toujours au plus profond.

Quelle lecture en tirer ?
Les enfants vont bien parle du réapprentissage du lien. Il ne s’agit pas de surmonter l’absence, mais d’apprendre à vivre avec. C’est un cinéma de l’après et du battement continu. Et s’il reste parfois trop sage, il n’en demeure pas moins d’une grande justesse : celle d’un regard jeune mais déjà habité par la mélancolie du réel. Dans ses failles et ses retenues, Les enfants vont bien nous rappelle qu’aimer, c’est parfois simplement tenir malgré l’absence, continuer à dire que “tout va bien” pour que, d’une certaine façon, cela le devienne.

cadreum
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le 10 oct. 2025

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cadreum

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