Voyage esthétique et blockbuster indie


Intrigué, pas déçu



J'apprécie certaines créations Marvel, sans aucune envie de tout regarder. Mais avoir confié un blockbuster à une réal' indépendante chinoise, le tout avec une esthétique a priori inhabituelle, ça a attiré ma curiosité.


Je sors époustouflé par le film. Il est loin d'être sans défaut, mais à voir la note SensCritique, mon sentiment diffère des autres spectateurs.


Je me lance donc dans une critique que j'espère la plus complète possible, pour tenter de défendre ma position, bien qu'avec beaucoup de nuances : Eternals est ambitieux, et Eternals est une bombe.



Questionnements et incohérences



Je ne pense pas qu'un film doive répondre nécessairement à toutes les questions qu'il pose. Le mystère peut faire partie intégrante du scénario et de son charme. Et puis il faut éventuellement laisser des réponses pour les suites (même si j'avoue ne pas avoir envie de me farcir tous les Marvel qui sortent...)


Mais le film pose beaucoup de questions très pesantes sur son univers, qui peuvent carrément mener à des incohérences. J'essaie ici de résumer ma tentative de comprendre l'écriture du film, pendant et après le visionnage (j'échoue sur certains points).


Le début du film, déjà, me laisse perplexe. Les questions fusent dans ma tête :
* À Londres, pourquoi les Éternels laissent le gros Déviant partir sous l'eau au lieu de continuer à l'affronter ?
* Pourquoi les Éternels auraient-ils "le droit de vivre une vie" d'après Ajak ?
* Pourquoi les Éternels ressemblent-ils autant à des humains ?
* Pourquoi les Éternels peuvent-ils naître muets ?
* Pourquoi les Éternels se montrent aux civilisations au début de leur présence sur Terre mais pas après ?


Bref, ça me semble un peu bancal. Puis, lorsqu'arrive le premier twist/pivot dramatique majeur, où l'on apprend le rôle des Éternels, quelques réponses hypothétiques me viennent :




  • Pourquoi les Éternels peuvent-ils naître muets ?
    Il semble que les Celestials soient des expérimentateurs, qui créent les Eternals avec tout plein de défauts involontaires, par exemple le bug mémoire de Théna. Cela dit, c'est difficile de cerner quel est l'étendue du pouvoir des Celestials.


  • Pourquoi les Éternels auraient-ils "le droit de vivre une vie" d'après Ajak ?
    Ajak dit sans doute ça parce qu'elle a du remords vis à vis du projet de l'émergence, et souhaite voir les Éternels vivre une vie sans responsabilités.




Pour les autres questions, en revanche, je ne vois pas de réponse après plus mûre réflexion. Quel intérêt pour les Celestials que les Éternels aient une apparence similaire aux habitants de la planète où ils vont ? Ça ne peut qu'augmenter le risque qu'ils s'attachent aux habitants, non ? Le but ce seraient plutôt qu'ils n'aient pas de raison de trahir les Celestials... Pourquoi ne pas plutôt envoyer des robots sans sentiments qui surveillent l'augmentation de la vie intelligente ? ......


(Est-ce qu'il y a un lien avec le fait que le peuple d'Asgard ressemble aussi autant à des humains ? Ou la place centrale qu'occupent la Terre et les humains en général dans les Marvel...)


Je pourrais aller fouiller dans le lore, mais ça ne m'intéresse absolument pas. J'aime bien l'idée qu'un film venant d'un vaste univers cross-média soit dans l'obligation de répondre lui-même aux questions qu'il pose, puisque les Comics sources peuvent être nombreux et contradictoires (potentiellement dans des univers alternatifs).



Diversité bienvenue



Passés ces premiers aspects fâcheux du métrage, si l'on accepte la prémisse "Les Éternels ressemblent à des humains avec des traits issus d'expérimentations aléatoires", force est de constater qu'il est logique que lesdits humains naissent avec des couleurs de peau radicalement différentes (puisque la couleur de peau a été tirée au hasard parmi toutes celles possibles, je suppose, les Celestials doivent s'en battre les Voies Lactées). Ce qui est un bon prétexte pour ce cast ultra diversifié avec en prime une muette et un cas d'Alzheimer (je plaisante pour cette dernière). J'entends au loin crier au wokisme, mais je ne vois pas en quoi ç'aurait été plus cohérent d'avoir un cast moins divers.


(Même raisonnement que pour Thor : quitte à avoir une espèce alien qui ressemble à des humains, aucune raison particulière qu'elle ressemble spécifiquement à des "Nordiques", quand bien même il y a inspiration de cette mythologie dans le matériau de base).


Pour le couple gay formé par Phastos et son mari, on peut se demander si, quitte à être tout-comme-les-humains-ou-presque, les Éternels ont une orientation sexuelle (si cette question a un intérêt - les fan artists en probablement déjà fait ce qu'ils veulent).


Bien que plus ou moins tous les films Hollywoodiens doivent suivre une certaine politique de repésentation, elle est ici assez fraîche dans un certain sens :
* les héros principaux des premiers MCU sont principalement des hommes blancs (ce qui est habituel, je ne vois pas de mal à ça), à l'exception notable de Black Widow (qui n'a cependant eu son film solo que récemment), ...
* ...les personnages secondaires étaient plus variés (mais secondaires), ...
* ...puis le film Black Panther, avec un héros principal noir, s'est largement axé sur la thématique du racisme...
* ...là où ce Eternals inclut des minorités (au sens États-Unien) dans les personnages principaux, sans insister dessus, ni en faire une thématique du scénario.



Développement des personnages



La plus grande force du film, selon moi, c'est qu'il passe presque tout sont temps à développer les personnages plutôt qu'à enchaîner les scènes d'actions. Ça donne un rythme complètement inhabituel pour Marvel, plus proche d'un Justice League Snyder Cut. Mais lent n'est pas synonyme de 'mal rythmé'. Je suis resté totalement captivé pendant presque 2h30.


Il y a beaucoup de personnages à suivre, mais j'ai pu entièrement saisir quelles étaient leurs motivations et évolutions au fur et à mesure des époques et des phases du scénario.


Makkari est sans doute le seul personnage bâclé (à tel point que les scénaristes l'ont laissée habiter dans le vaisseau pendants des siècles, parce que... elle aime bien lire.) Tous les autres sont un plaisir absolu à suivre. Je me sentais toujours au coeur de leurs troubles dès que ceux-ci survenaient, et ai adoré les voir interagir au cours des nombreux dialogues, à mon avis (presque) tous dignes d'intérêt. Et tout ça, parce que le film prend son temps pour expliquer.


J'adore la thématique portée par Ikaris, et les personnages dans l'ensemble : la difficulté à trouver un but propre.



Humour



La qualité des dialogues repose sur l'alternance entre sérieux et humour. Et la plupart des blagues font mouche pour moi : je retiens surtout les sketches de la tarte et de la table IKEA.


Je regrette cependant un désamorçage malvenu de certaines scènes importantes. Notamment, la première grosse révélation enchaîne directement sur une scène où Sirsi est à table et explique ce qu'elle vient d'apprendre. Ce à quoi Kingo réagit en résumant de manière un peu légère et un peu nulle les informations qu'on vient d'apprendre. Il aurait fallu, selon moi, un plus long moment de pause sur Sirsi avant cette discussion, et enhaîner directement avec les mines graves des Éternels face à la nouvelle.


Enfin, je ne comprends absolument pas tous les sketches autour du documentaire que veut réaliser Kingo. Je ne trouve pas ça drôle, et ç'aurait pu être coupé du film sans rien enlever d'intéressant.



Mise en scène, image, univers graphique



La composition des plans et l'utilisation de la lumière sont virtuoses. Les Mésopotamiens qui font face au vaisseau triangulaire en début de film. Les rencontres entre Ajak et Arishem, avec l'effet de téléportation puis le visage d'Arishem qui prend tout le cadre. Le pouvoir de Sersi en fin de film qui forme un cercle de marbre gris au centre d'une surface dorée.


Les héros, non contents d'avoir des tenues sobres et classes, sont utilisés d'une manière ultra-esthétisée lorsqu'ils déploient leurs pouvoirs. Les pics de vitesse de Makari m'ont donné des frissons, tant lors des travellings à vitesse surhumaine lorsqu'elle traverse la planète, que lors des plans fixes où elle tabasse un ennemi. Les inventions de Phastos mêlent toujours un certain minimalisme et une classe holographique absolue. Les yeux de Ikaris qui enflamment l'herbe lorsqu'il pleure... Et surtout, surtout les pouvoir de Sersi - volutes de poussière, changements en glace, changement en arbre... toujours plus magnifique à regarder à chaque utilisation décisive.


Les scènes d'actions, en plus de briser le rythme lent, ce qui décuple leur impact, sont d'une lisibilité parfaite et d'une violence glaçante. Les travelings rotatifs alternent avec des plans "caméra à l'épaule" qui accentuent la menace des Déviants filmés en contre-plongée. Les morts à base de tentacules qui transpercent le corps sont éprouvantes.



Ambition et réussite



De par son choix de réalisatrice inhabituel, son rythme volontairement lent, son peu de scènes d'actions, et la démesure de ses enjeux, Eternals est sans doute le film qui m'a le plus impressioné du MCU. Même si on sent quelque peu le cahier des charges Disney dans l'humour qui dédramatise un peu trop, le film me semble faire très peu de concessions sur les désirs de l'équipe artistique en terme de rythme, d'univers et de personnages.


Cela me pousse à excuser les défauts que j'ai mentionnés. Un scénario très ambitieux (on parle d'une mythologie de l'univers tout entier), un peu bâtard, mais qui tente de développer des personnages intéressants au milieu d'enjeux qui les dépassent largement, je préfère ça à ce que j'ai pu voir dans les autres films Marvel. Je recommande chaleureusement le visionnage.


Si le film avait remplacé ses séquences documentaire de Kingo par quelques explications supplémentaires sur l'univers et les pouvoirs des Celestials, j'aurais probablement mis la note maximale.



Note thématique : l'anthropocentrisme



Je souhaite m'attarder, en questionnements, sur un thème du film : l'idée des "formes de vie intelligentes" qui nourrissent les Celestials.


Sur quel critère les aliens se basent-ils pour évaluer l'intelligence d'une espèce ? Il me semble que la notion d'intelligence, bien qu'elle ne soit pas définie, soit ici à accepter dans son sens (malheureusement ?) commun : une intelligence semblable à celle de l'humain (catégorie dans laquelle ne rentrent pas les dinosaures, qui ont donc été éradiqués). Ce qui néglige l'intelligence potentiellement très différente qu'on peut observer chez d'autres espèces, et imaginer chez des formes de vie alien.


Je m'étonne aussi de ce que la civilisation terrestre soit la première qu'Ajak estime digne de sauver. Qu'est-ce qui rendrait l'espèce humaine si spéciale ?

Naskor
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le 3 févr. 2022

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