Les Frères et Sœurs Toda est l'un des deux films, avec Il était un père, tourné par Ozu pendant la guerre, entre ses deux mobilisations en Chine puis à Singapour. C'est aussi le premier à porter un pessimisme ambiant, une mélancolie qui ne s'épuisera jamais et qui sera présente dans tous les films qui suivront. S'il n'est pas exempt de propagande politique voire fasciste (l'incitation à aller occuper la Mandchourie, le respect que doivent apporter les enfants à leurs parents), c'est sans doute le film qui préfigure le mieux non pas seulement l'âge d'or d'Ozu, mais même son chef d'oeuvre absolu, Voyage à Tokyo.

A la mort de son mari, une dame âgée et sa fille déjà jeune femme vont tenter de cohabiter avec les autres enfants de la fratrie, allant des uns aux autres comme le Roi Lear. C'est l'un des rares Ozu à accumuler ainsi les personnages. La fratrie compte, si je n'ai oublié personne, 5 enfants, dont 3 déjà mariés, sans oublier 1 petit-enfant. Les péripéties vont elles aussi s'empiler (l'affaire du piano la nuit, la relation grand-mère petit-fils, l'héritage du patriarche, le retour du fils prodigue, l'assemblée familiale finale), esquissant des relations familiales de plus en plus complexes et subtiles, et soulignant le poids des conventions sociales pour cette famille extrêmement riche (hors de question que la cadette trouve un emploi). La grand-mère et sa fille se retrouveront isolées, avant le retour du fils parti en Mandchourie et qui, ragaillardi par l'expérience, mettra les points à l'heure, et les pendules sur les "i". Alors certes, le film est loin, très loin d'être du niveau du Voyage à Tokyo, indépassable en termes de subtilité émotionnelle et de poésie cinématographique. Mais une telle esquisse aussi précocement et en plein pendant la Seconde Guerre mondiale, le tout sous un régime autoritaire et militariste : c'est tout bonnement fascinant.

Le film doit beaucoup à l'un des acteurs principaux, Shin Saburi encore tout jeune (et menu) à l'époque, bien plus connu pour ses rôles plus tard dans Le Goût du riz au thé vert et Fleurs d'équinoxe. Il brille ici par son charisme rayonnant, surtout à la fin du film, à rebours des rôles plus félins qu'il aura plus tard avec Ozu. Un rôle qui aurait été parfait pour un Toshiro Mifune, ce personnage n'hésitant pas à faire fi des conventions sociales et à hausser le ton pour renvoyer dans les cordes ses frères et sœurs, et que Saburi joue extrêmement finement : une saine colère. Sans oublier un tout petit rôle pour le pas encore légendaire Chishû Ryû.

Samji
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le 30 sept. 2025

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