Ce film projette une ombre consternante sur l'oeuvre cinématographique de David Cronenberg où l'on trouve cependant des pépites tels EXistenZ et Faux Semblants. Il aborde le terme de la mort, le thème de la transcendance et de la verticalité absolue, au niveau le plus plat de la matérialité. Fasciné par la technologie digitale, il échafaude une histoire de cimetière numérique, régi par un Vincent Cassel, veuf inconsolable accro à une "agente intelligente" plutôt mutine, dont les richissimes clients, armés d'une "app", peuvent visualiser en temps réel l'état de décomposition de leurs très chers morts. Quand bien même ce service existerait, il n'intéresserait personne car on se lasserait vite de contempler un squelette, passée la phase de putréfaction dont on peut aussi questionner l'intérêt! On est donc loin, vraiment loin, à des années-lumière même de l'inventivité diabolique de Philip K. Dick qui imaginait dans Ubik un funérarium où le cerveau des défunts pouvait être maintenu en vie quelque temps après trépas afin que des proches puissent venir leur parler. Pour tenter d'épicer son idée anorexique de cimetière 2.0, David Cronenberg greffe pêle-mêle un informaticien paranoïaque, un chirurgien oncologue manipulateur, des réseaux d'espions chinois et russes, en pure perte d'ailleurs car le tout demeure obstinément incohérent et abstrus. Faute de s'y retrouver lui-même sans-doute, le réalisateur jette l'éponge et termine son film en queue de poisson. Le plus grave sans-doute, au delà de l'absence de sens, de la platitude exténuante du propos, c'est qu'on ne ressent pas la moindre émotion, ni face aux fantômes amputés et lacérés de cicatrices, ni face aux scènes de sexe purement anatomiques. Les acteurs débitent leurs textes banals et bavards de façon automatique, à l'exception peut-être de la "date" de Vincent Cassel au tout début du film, l'actrice jouant son rôle avec une certaine finesse, entre empathie, surprise enjouée et inquiétude. Vincent Cassel, omniprésent dans le champ de la caméra, est désespérément inexpressif, comme s'il savait que ses tirades et aussi l'intrigue "ne cassent pas trois pattes à un canard", mais que ma foi on aurait bien tord de bouder son cachet dans un hexagone en banqueroute. Force nous est de conclure que Les Linceuls se situent dans la veine du film The Insider de Steven Soderbergh qui l'a précédé: on y retrouve la même fascination pour des techs digitales qui tournent à vide, les automobiles (que des Tesla, hélas, dans Les Linceuls ! ), des intérieurs luxueux mais trop lisses et deshumanisés, des scénarios alambiqués qui vous perdent au lieu de vous transporter ou de vous "mettre en question" . L'émotion est bannie comme si elle n'était qu'un sentiment vulgaire des masses alors que ces joyaux du cinéma sont fignolés par, et destinés à, la nouvelle technocratie. La matérialité a pris le pas sur l'esprit et l'âme humaine, et l'art s'abîme et s'étiole dans l'horizontalité digitale.