Luc Besson a un parcours artistique en dents de scie. Il nous a étonné, émerveillé, tenu en haleine dans Subway, Le Grand Bleu, Nikita, ou même Valérian et la Cité des mille planètes. Il nous a épaté et amusé dans un jubilatoire DogMan, boudé par certains critiques on se demande bien pourquoi. Seulement, on sait qu'il peut aussi bien se fourvoyer dans la bande dessinée kitsch et carton pâte, le clip clinquant sans profondeur intellectuelle et historique (Jeanne d'Arc, Lucy). Son Dracula me semble hélas l'un de ses ratés, malgré la présence dans le rôle principal de Caleb Landry Jones, lequel nous avait ravi dans DogMan. Focaliser le roman de Bram Stoker sur une histoire d'amour passionnel et en rendre le comte Vladimir presque attachant, passe encore. Ce pouvait être un choix assumé et distinctif. Non, en dépit de certaines idées fulgurantes de mise en scène qui sont, pour partie au moins, des emprunts (la boîte à musique, la cavalcade au dessus des pièges à loup, le bal dépoussiéré à la manière de Sofia Coppola dans Marie-Antoinette, la déambulation parisienne dans le jardin d'attractions, l'irrésistible fragrance subtilisée au Jean-Baptiste Grenouille de Patrick Süskind, etc.), le film est résolument saccadé et tonitruant, au point que l'attention se délite progressivement au fil de la projection. La passion amoureuse réduite à l'amour charnel et des jeux frivoles autour du lit nuptial. Hormis Dracula, invité à narrer son histoire en flashbach, tel le Patient Anglais mais avec tellement moins d'art et d'intensité dramatique que chez Anthony Minghella, les personnages sont juste esquissés. Les femmes plutôt seconds couteaux, hormis la goule enchaînée qui crève l'écran. La partition de Danny Elfman sans l'âme et la recherche harmonique de Ryuichi Sakamoto. Les gargouilles-gremlins laidement grotesques. Le montage et les effets spéciaux méchamment bâclés par endroits. Bref, en sortant, on espère juste que Luc Besson, même s'il est ardu d'égaler un Bertolucci ou un Wim Wenders, reviendra un jour à un cinéma plus "artistique", plus "beau", plus "pensant", moins parasité par la post-production hollywoodienne niveau jeu vidéo et le flonflon orchestral. Dans ce nième Dracula, le trop plein d'effets tapageurs ne parvient pas à masquer la disette de la pensée.