Quand on cite Jacques Audiard, il n’est pas étonnant de le rapporter directement à son prédécesseur Michel Audiard : reconnu comme un des plus grands dialoguistes du cinéma français. Vous n’avez peut-être pas vu l’un de ses films, mais si vous avez remonté jusqu’aux années 50 vous avez des chances d’être tombé sur au moins un film ou il est crédité comme dialoguiste, dont le fameux Les tontons flingueurs de Georges Lautner.
Quant à Jacques Audiard, si on peut le personnaliser autrement par son cinéma lorgnant entre le cinéma d’auteur et le cinéma de genre (le film carcéral avec Le Prophète, le Western avec Les Frères Sisters ou encore le drame intimiste via De rouille et d’Os), son dernier né se détache pas mal des univers graphiquement violents qu’il a précédemment mis en scène. Sans escompter qu’il s’agissait à l’origine d’une commande, mais Audiard a grandi dans les Olympiades et a choisi de proposer un contre-coup à ses œuvres habituelles tant en termes d’ambiance que de cadre et en mettant davantage en avant un esprit comique au milieu de ces frustrations et désillusions.
Les Olympiades, c’est le portrait moderne non pas d’un, ni deux, ni trois mais de quatre trentenaires français aussi bien expérimenté que frustré sur le plan personnel, intime ou même sexuel. Le choix de représenter ces gens par divers ethnies (une franco-chinoise, un homme de couleur et deux autres femmes) fera peut-être ricaner les cyniques, mais tant que ceci reste un habillage mis au service du propos ou qui n’empiète pas dessus, il n’y a rien qui justifie le cri au scandale. D’autant qu’Audiard ne tombe jamais dans la moralisation ou le pointage du doigt vis-à-vis des ethnies et qu’il traite ses rôles comme n’importe quel trentenaire français au final, alors : Hakuna Matata comme dirait les 2 autres.
D’autant qu’en 1h40, Audiard réussit à ne délaisser personne et à dresser 4 portraits aussi riche qu’ambivalent et dans lequel chacun a son mot à dire. S’ouvrant d’abord comme un film choral durant son premier tiers, et mettant en évidence les premières histoires de cœur et de relationnel chaotique entre la franco-asiatique Emilie et le professeur Camille insatisfait professionnellement et usant de son franc parler quand cela devrait être évité, et la tentative de reprise des études de Nora s’achevant sur un malentendu briseur de renouveau. Rien qu’avec cela, il y a un lien solide qui se tisse aussi bien sur la forme que dans leur environnement commun, tant sur l’insatisfaction personnelle que dans le milieu où ils évoluent (les quartiers de Paris 13ème en effet mais également le milieu enseignant du point de vue de Camille et de Nora poussés par la sortie d’une manière ou d’une autre).
Ici on ne cherche jamais du côté des archétypes habituels ou faciles des habitants d’une citée à Paris, à l’inverse de plusieurs de ses héros souvent brutaux évoluant dans un milieu violent et impitoyable (les frères Sisters traversant un western sans représentant de l’ordre, Thomas victime du chantage affectif de son père et bossant comme marchand de bien véreux dans De battre mon cœur s’est arrêté, ou encore Malik devant faire la sale besogne de la mafia carcérale pour sa survie dans Le Prophète). La violence, elle se trouve davantage dans les mots et l'expression de la frustration de ces trentenaires :
à travers le rejet amoureux subit par Emilie et sa difficulté à assumer ses responsabilités familiales dans lequel on peut également se retrouver (cela n’excuse pas tous ses faits mais elles sont compréhensibles avec du recul).
Ou encore à travers les rapports sexuels insatisfait de Camille avec une Nora ne sachant pas où aller sur ce plan (les scènes de sexes ne manquent pas mais ne sombrent jamais dans l’indécence ou la gratuité) et d’Emilie cherchant à combler son vide sentimental.
Mais c’est aussi un portrait parlant sur la génération actuelle et notre manière d’établir le contact avec notre prochain. Une liaison par webcam live devenant plus sincère et constructive (Amber et Nora) qu’une relation dominée par le sexe entre deux personnes s’étant rencontré physiquement (Camille et Emilie) et un amour précoce trop vite annoncé. D’autant que le choix du noir et blanc traité avec sobriété tranche aussi avec les rapports de force et les univers durs des précédents films, même si Jacques Audiard n’en tire pas autant profit pour des élans de grâce et d’envolée sauf pour quelques rares bribes
(Emilie et sa danse au restaurant ou sa course sous la pluie usant du ralenti sur fond musical dans le premier cas, et des perspectives alentours réduits à l’écran pour la course sous la flotte).
Néanmoins, même si Jacques Audiard a admis lui-même partir sur quelque chose de plus comique avec son dernier né
(l’anecdote d’Amber sur un de ses anciens clients est tellement inimaginable et perturbée que la voir la raconter en mode "j’essaie de voir si ça marche quand même." rend la confession tordante)
, il n’en reste pas moins terre à terre avec ses personnages et le contexte actuelle qu’il dénonce à travers leurs problèmes (la réforme scolaire devenant invivable pour ceux travaillant dans l’enseignement, une humiliation scolaire de longue durée pouvant fermer toute perspective de renouveau, sans oublier la sincérité directe mais sans tact et recul qui peut nuire facilement à une relation même amicale et que traversent Emilie et Camille). Même quand ils peuvent être peau de vache, ça n’est jamais montré par simple envie d’être peau de vache, leur mal-être ou déception personnelle a un sens dans une société aussi compliquée que celle de maintenant ou même détenir un diplôme élevé ne confère ni garantie ou épanouissement professionnelle.
Mon seul véritable grand regret, qui m’engage plus personnellement que la qualité intrinsèque de Les Olympiades, c’est de voir Geneviève Doang, une comédienne injustement réduite à des seconds rôles en doublage dernièrement (et qui mérite bien mieux à mon sens, elle l'a déjà prouvé), réduite à ce point à une simple figuration d’une minute dans un film ou c’est un auteur de talent qui est derrière la caméra. Alors que creuser dans les rapports fraternels entre Emilie et Karin n’aurait pas été un mal pour le portrait ambigu de la franco-chinoise cumulant les petits boulots, et que Doang a le droit à plus de reconnaissance à mes yeux.
On tient probablement un des films de Jacques Audiard les plus intimes dans ce qu’il met en image et les plus terres à terres, et à mes yeux celui qui m’a le plus parlé jusqu’à présent. C’est sobre dans son choix esthétique et brillant par la performance au naturel de ses acteurs et actrices (Zhang, Samba et Merlant sur un pied d’égalité à mes yeux), beau dans sa représentation d’une génération en lutte perpétuel avec leur époque dans lequel il est facile de se retrouver même dans leurs décisions contestables, et alimenté par une bande sonore de qualité signé Rone.