Bien avant la mise en scène sublime des Contes de la lune vague après la pluie qui lui valut une reconnaissance en occident, et bien avant le portrait réaliste et plein de nuances du monde des geishas de La rue de la honte, il y avait Les sœurs de Gion, arrivant à une période charnière : la fin du premier âge d'or du cinéma japonais, et l'arrivée progressive du parlant.


On y retrouve déjà des bribes du style de Mizoguchi : le film s'ouvre avec un travelling latéral très typique de son cinéma, qui nous fait passer d'un lieu (une vente aux enchères bruyante) à un autre (une discussion privée entre deux hommes), à la seule différence que la transition entre les deux lieux se fait sur un fondu, probablement à cause des limitations techniques lors du tournage. Mais on comprend vite, malgré certains cadres particulièrement élaborés, jouant sur les surcadrages, que ce qui intéresse Mizoguchi ici est moins la forme que le fond.


Les Soeurs de Gion se présente comme un pamphlet féministe, nous montrant le destin de deux femmes meurtris dans une société profondément machiste. Les deux sont des geishas, l'une manipulatrice, l'autre trop naïve. Pourtant, les deux finiront dans le malheur et la misère. Mizoguchi, avec son monologue final, ne laisse paraître aucune espoir : cette profession ne devrait pas exister. Et si aujourd'hui, le film peut nous paraître moralisateur à outrance, il suffit de se souvenir qu'à l'époque les geishas étaient profondément ancrées et acceptées dans la société japonaise, bien avant que la profession soit remise en question dans les années 50. On imagine donc qu'un tel film devait être assez couillu et subversif lors de sa sortie.


Je lui préfère malgré tout largement La rue de la honte, bien plus nuancé et avec des grands moments de mise en scène. Mais il serait dommage de passer à côté de ce film-ci, symbole d'une époque précédent la signature d'une alliance entre Tokyo et le parti nazi, et d'une seconde guerre mondiale qui sera préjudiciable pour le cinéma japonais.


En bonus, une citation de Mizoguchi qui exprime bien l'état d'esprit dans lequel il a co-écrit le film :



Il faut décrire l'homme, mettre en image le corps humain. Décris-moi
des types implacables, égoïstes, radins, sensuels, cruels... Il n'y a
que des hommes dégueulasses ici-bas.



PS : si le cinéma japonais vous intéresse, vous pouvez venir piocher dans ma liste https://www.senscritique.com/liste/Les_oublies_du_cinema_japonais/1704611

Subversion
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2017 : Les films que j'ai vus

Créée

le 18 août 2017

Critique lue 1.1K fois

8 j'aime

Subversion

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

8

D'autres avis sur Les Sœurs de Gion

Les Sœurs de Gion
Alligator
7

Critique de Les Sœurs de Gion par Alligator

J'hésite entre le 6 et le 7. Parce qu'entre un démarrage sur les chapeaux de roue avec un sublime travelling et le discours final d'Isuzu Yamada sur son lit d'hopital, où l'actrice nous pond une...

le 22 févr. 2013

7 j'aime

Les Sœurs de Gion
FrankyFockers
8

Critique de Les Sœurs de Gion par FrankyFockers

Même lorsque c'est apparemment un film mineur, de par sa durée (1h07) ou son sujet (une jeune geisha cherche à changer de protecteur, car le sien est ruiné, pour se payer un nouveau kimono),...

le 6 nov. 2019

1 j'aime

Les Sœurs de Gion
SPilgrim
7

Mettre en cadre le corps banni

[Mouchoir #17] Trois bouts de ficelle et quelques idées. Les Sœurs de Gion n'a besoin que de deux décors abstraits : quelques intérieurs dénués de richesses ainsi que des ruelles étroites et sombres...

le 12 avr. 2022

1 j'aime

Du même critique

Les Funérailles des roses
Subversion
8

Ambivalence

Puisqu'au Japon les années 70 étaient le terreau fertile à un cinéma transgressif exposant les tabous de la société japonaise au grand jour, il était logique que la communauté des homosexuels et...

le 9 déc. 2017

18 j'aime

2

Pale Rider, le cavalier solitaire
Subversion
4

Clint Eastwood, par Clint Eastwood

Permettez-moi d'être dubitatif sur le statut de ce film. Considéré souvent comme un des grands westerns des années 80, Pale Rider ne me semble pas du tout mériter sa réputation. Le fameux personnage...

le 27 août 2017

17 j'aime

4

All About Lily Chou-Chou
Subversion
10

Simulacres et gouffre générationnel.

[Il s'agit moins d'une critique que d'une tentative d'analyse, issue d'un travail académique plus vaste]. Shunji Iwai est un cinéaste de la jeunesse : dans la grande majorité de ses films, il n’a...

le 16 févr. 2019

16 j'aime

2