Tout commence par un retour de politesse. Dans The Climb (2020), le précédent long métrage du duo Kyle Marvin et Michael Angelo Covino, le personnage de Michael annonçait à Kyle avoir couché avec sa femme. Dans Libre Échange, c’est au tour de Carey (Marvin) d’annoncer à son ami Paul (Covino) qu’il a eu une relation avec son épouse, Julie (Dakota Johnson).
Cette fois pourtant, la tromperie ne devrait pas poser de problème. Paul et Julie sont en relation libre. Et Carey, qui vient de se faire lourder par sa compagne (Adria Arjona), va bientôt s’y mettre. Chacun peut collectionner les amants, au point de le revendiquer comme le secret de la pérennité maritale. En théorie, du moins. Nulle science exacte dans les relations humaines. Avec l’adultère vient la jalousie, avec la jalousie la compétition masculine, et tout à coup se déploie un inconfortable et grinçant vaudeville.
Dans ce marivaudage diablement contemporain, où la bourgeoisie obsédée par l’argent en prend aussi pour son grade, Covino et Marvin font de nos petites médiocrités et de nos contradictions postmodernes le beurre de leur humour. Le mâle occidental baigne dans un entre-deux casse-gueule, pris entre la déconstruction expresse du couple traditionnel et le poids de millénaires de conditionnement patriarcal. Il tient davantage, sous la plume du duo new-yorkais, de l’ado paumé que de l’homme alpha – d’où une évidente tendresse, malgré tout, pour leurs personnages, malgré des comportements parfois déplorables.
Les deux personnages féminins sont les spectatrices privilégiées et atterrées de ce combat de coqs. En témoigne une scène comme un sommet : la bagarre en faux plan-séquence de Paul et Carey, une fois l’adultère révélé, où les deux compères convoquent autant Buster Keaton que la grammaire martiale d’un match de catch.
Covino et Marvin, complices aussi dans la vraie vie, ont l’amitié vache. Dans Libre Échange, on s’envoie des bourre-pifs et des missiles en guise de dialogue. L’arrière-plan, le décor, réserve aussi son lot de rires nerveux. Un sens du chaos et de l’absurde qui sert de colonne vertébrale au film.
Le cinéma n’a d’intérêt que s’il sait provoquer et cliver, revendiquent ces deux comédiens à la cinéphilie très francophile. Michael Angelo Covino, par ailleurs cycliste aguerri et fan du Tour de France, ne cesse de répéter son admiration pour Pierre Étaix, Maurice Pialat et Bertrand Blier.
La France le leur rend bien, comme au Festival de Cannes où le film a fait son avant-première internationale au printemps, avant d’ouvrir en septembre Deauville, où The Climb avait reçu un prix il y a quelques années. Si les histoires de libre-échange et de libre amour finissent mal en général, la libre circulation des œuvres, elle, est forcément féconde.