Dix ans après I’M STILL HERE (2010), l’acteur Casey Affleck revient à la réalisation avec LIGHT OF MY LIFE. Le résumé du scénario qu’il a lui-même écrit peut laisser croire à un énième film post-apocalyptique, glorifiant l’individualisme et les valeurs familiales américaines. Après une pandémie mondiale touchant uniquement les femmes, un père interprété par Casey Affleck et sa fille nommée Rag tentent de survivre… Dès son ouverture, le film oppose pourtant un démenti formel aux intentions racoleuses qu’on serait tenté de lui prêter. En lieu et place du traditionnel générique expliquant comment notre belle civilisation s’est effondrée, la première scène est un huis clos de douze minutes dans une tente exiguë. Le père y improvise à sa fille incrédule un conte mêlant Le Roman de Renart et l’épisode biblique du Déluge. Sous ses airs insignifiants, ce récit maladroitement narré contient en germe les principaux enjeux du film, à savoir l’amour inconditionnel d’un père pour sa fille et la ruse dont il doit faire preuve pour la protéger de la violence du monde. Et pas n’importe quelle violence : celle d’un société plus que jamais patriarcale. On comprend en effet progressivement que les rares femmes qui ont survécu à la pandémie sont séquestrées par les hommes comme des biens précieux. Rag n’ayant pas encore atteint la puberté, elle peut laisser croire qu’elle est un garçon, tout en vivant par prudence à l’écart des villes.


De la part de Casey Affleck, accusé par deux femmes de harcèlement sexuel durant le tournage de son précédent film, le choix d’un tel sujet n’en finit pas d’interroger. Serait-ce une vaine tentative de repentance ? Difficile en tout cas de reprocher au cinéaste d’apporter des problématiques de genre dans un récit post-apocalyptique, tant l’initiative est inédite et son traitement se révèle pertinent. Dans une société sans femme, désespérée de sa stérilité comme celle des FILS DE L’HOMME (2006), Reg et son père souffrent d’une perte de repère. Ce dernier l’interdit de porter les vêtements de fille qu’elle trouve, par peur qu’on découvre sa véritable identité. Mais il doit pourtant lui expliquer ce qu’il se passera lorsqu’elle aura ses premières menstruations, durant une mémorable scène de repas alternant sobrement plan-séquence et champ-contrechamp. Toute la première moitié du film rappelle que le cinéma d’anticipation reste un lieu idéal pour déconstruire les rapports sociaux, bousculer les normes et les redéfinir. Reg, dont l’identité de genre reste incertaine aux yeux du spectateur durant les premières minutes du film, trouve finalement une maturité en dehors des rôles qu’on tente de lui assigner. Ni garçon obéissant à son père ni fille soumise au reste de la société, Reg emprunte une voie singulière à l’image de son prénom, même si cela doit passer par une perte d’innocence.


La seconde partie, lorgnant vers le survival, s’avère plus convenue. Le rythme s’emballe, la violence éclate sans complaisance mais en évacuant au passage la mise en scène attentive et feutrée de la première partie du film. Celle-ci est plutôt comparable aux films indépendants comme LEAVE NO TRACE (2018) de Debra Granik. Les deux longs-métrages mettent en scène une relation père-fille fusionnelle, rythmée par une vie autarcique « à la dure » dans la forêt. La photographie y sublime le décor naturel, perçu comme le prolongement esthétique des liens qui se nouent. En prenant le temps de capter les gestes qui fondent une relation paternelle, les deux cinéastes apportent ainsi une même réponse à l’hostilité ambiante, celle du care. « This is a love adventure », chuchote Reg à l’oreille de son père en larmes durant les derniers instants de LIGHT OF MY LIFE.

Marius_Jouanny
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le 8 août 2020

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