Le film de Gore Verbinski, dans son ambition visible et presque agressive, cherche à ressusciter un archétype nord-américain en le façonnant à l'aune du spectacle contemporain. Hélas la résurrection se mue rapidement en excès : la mise en scène succombe à la tentation décorative et le récit se perd dans l'expansion plutôt que dans la clarification. Ce qui était promis comme une réécriture devient une surenchère d'objets filmiques qui rivalisent entre eux plutôt que de se conjuguer pour penser le mythe.
Verbinski déploie un savoir-faire de metteur en scène qui sait composer de grands cadres et organiser l'espace avec une assurance parfois virtuose. Les plans larges, la mécanique des spectacles forains et les séquences de poursuite montrent un cinéaste capable de penser le mouvement et l'architecture de l'image. Pourtant le plan, à force d'être somptueux, cesse d'être signifiant. L'usage massif d'effets numériques crée une profondeur factice qui dilue la matérialité du western. Le film offre des images magnifiques mais souvent en trop grand nombre ; la surcharge visuelle neutralise le travail de composition et affaiblit la tension dramatique que réclame toute fable d'initiation.
Sur le plan du rythme, le montage hésite entre l'ampleur épique et la fragmentation comico-burlesque. Cette oscillation chronique, loin d'être féconde, engendre un flou tonal. Les séquences cocasses ne contrebalancent pas la gravité supposée de la quête et les ruptures d'humeur se ressentent comme des rustines appliquées sur une narration qui n'a pas trouvé sa logique interne. Le récit d'origine, qui pourrait interroger la formation d'une figure de la justice, est étiré jusqu'à ce que ses enjeux moraux deviennent opaques.
La partition sonore, dominée par un élan orchestral, inscrit le film dans une grandiloquente tradition hollywoodienne. Le leitmotiv musical vise à donner de l'ampleur mais finit par peser sur la dialectique des scènes, appuyant ce que l'image aurait déjà dû signifier. Ce dispositif amplificateur fonctionne parfois comme un contrepoint réussi, notamment dans les passages où la musique épouse le mouvement du montage. Mais trop souvent la bande son fait écran et empêche l'émergence d'une poésie cinématographique plus sobre et plus vraie.
Les interprétations sont inégales et témoignent des limites du projet. Armie Hammer incarne un protagoniste trop formel pour habiter une transformation intime. Johnny Depp impose un jeu d'ornement qui frise la caricature et soulève des questions légitimes sur la représentation et l'appropriation culturelle. Là où une économie dramatique aurait permis d'explorer la relation entre les deux figures, le film préfère l'effet et l'affectation, au prix d'une empathie cinématographique affaiblie.
Il reste quelques réussites partielles : la direction artistique, quand elle se fait moins démonstrative, parvient à recréer une atmosphère, et le sens du spectacle de Verbinski révèle une exigence plastique rare dans les productions de grande envergure. Mais ces éclairs ne compensent pas une structure qui manque de discipline critique. Lone Ranger - Naissance d'un héros est une œuvre de belle facture et de sincères intentions qui, en voulant tout embrasser, finit par diluer la puissance de son propos. Le film enseigne involontairement une leçon sur la difficulté à concilier mythologie et mégalogie cinématographique.