Une vraie critique sur Love (avec spoilers)

La polémique lors de sa projection à Cannes et la décision du CNC de l’interdire aux moins de seize ans a provoqué un véritable effet Streisand autour de Love, ce qui m’a conduite dans les salles obscures.


Je n’avais vu aucun des précédents films de ce cher Gaspar Noé, et je n’en ai pas plus envie après le visionnage de son « mélodrame pornographique en 3D » (sic) tant son ego surdimensionné se déverse le long de ce long-métrage de pacotille fait par un mec pour les mecs alors même qu’il possédait les moyens d’être excellent.


La prétention avec laquelle le réalisateur se met en avant dans une sorte de métafiction low-cost, au lieu de s’effacer et de laisser transparaître son intention à l’intérieur même de sa narration, est effarante. Nous avons donc deux personnages secondaires qui portent respectivement le prénom et le nom du cinéaste : Gaspar, le fils du protagoniste – comme si le spectateur était trop débile pour comprendre sans cet effet miroir que oui, monsieur est bien le papa de ce film et de ses personnages – et Noé, ce galeriste très raffiné et interprété par… le réalisateur lui-même bien sûr, le tout sous une perruque ridicule.


C’est pourtant dans son protagoniste, Murphy, que Gaspar Noé se projette maladroitement. Cet étudiant américain fait des études de cinéma à Paris, ce qui apparemment suffit à faire de lui un artiste et réalisateur comme les études aux Beaux-arts d’Electra, sa copine, font d’elle une artiste peintre. C’est bien connu. Ils se séduiront donc tout naturellement en se révélant leur œuvre préférée : 2001 de Kubrick pour lui, le poème « Stopping By Woods On A Snowy Evening » de Frost, pour elle qui récite même la dernière strophe. Vous avez dit cliché ? Une seule fois en plus de deux heures, Murphy fait part de ses projets cinématographiques. Celui de faire un film sur l’amour, le vrai, l’amour avec du sexe, c’est-à-dire le film que notre cher Gaspar vient nous présenter.


Il est donc temps de s’intéresser au contenu même du film, à cette histoire d’amour charnelle et passionnelle que vit le personnage principal, qui est d’ailleurs le seul à avoir l’honneur d’un traitement correct en tant que personnage et non pas comme celui d’un faire valoir, réservé évidemment aux personnages féminins d’Electra et d’Omi.


La relation entre Murphy et Electra, dans ses hauts et ses bas, est donc la vision universelle de l’amour selon Noé comme le montre le substantif qui sert de titre au film. Il est pourtant étrange d’ériger comme modèle un couple synonyme de relation malsaine et abusive. Murphy et Electra vivent une relation parfaite tant que leurs principales occupations sont le sexe et la drogue – une telle valorisation de l’utilisation de drogues dures telles que l’opium ou que la cocaïne transpire au passage d’une stupidité et d’une idéalisation extrême qui laissent déjà apparaître par ce minuscule détail la superficialité de ce film. Le désenchantement s’opère quand Murphy engrosse Omi, une des nombreuses filles avec lesquelles il trompe Electra, celle avec laquelle il voulait construire sa vie. Cette dernière ne veut alors plus aucun contact avec lui et tombe dans la spirale de la drogue. Murphy décide alors par défaut de se mettre en ménage avec Omi, sans grande conviction. Il me semble que l'Amour là dedans est évident.


Il faut alors s’intéresser à la focalisation adoptée par le récit, celle de Murphy. Il est possible de voir ce personnage sous le prisme de la philosophie kierkegaardienne comme l’impossibilité de sortir du stade esthétique où il oscille entre plaisir (sexuel ici) et ennui, tel Dom Juan. Pour palier l’ennui, il tente par tous les moyens d’essayer quelque chose de nouveau : plan à trois avec Omi, tromper Electra avec d’autres filles, club échangiste, plan à trois avec une transgenre… Il se retrouve propulsé dans le stade éthique à sa rupture avec Electra et à sa mise en ménage avec Omi, leur futur enfant étant synonyme d’engagement. Toutefois, Murphy est loin de participer pleinement au stade éthique puisque cet enfant n’est pas voulu et qu’Omi refuse d’avorter et qu’il se met alors en ménage par défaut. Il passe donc les deux années suivantes à insulter intérieurement sa compagne, insultes auxquelles le spectateur assiste péniblement à travers une voix off inutile et irritante qui casse le rythme du récit, et à se droguer en se remémorant sa vie avec Electra, celle qu’il aime réellement. Le saut définitif vers le stade éthique semble se trouver à la scène liminale du film où Murphy embrasse son enfant et prendrait alors ses responsabilités en tant que père.


La réalisation assez plate pousse mollement le spectateur à ressentir de l’empathie pour ce personnage infâme car infidèle, misogyne et lâche. On retrouve souvent Murphy visuellement enfermé entre deux murs desquels il ne peut échapper. Après tout, Love est, d’après son réalisateur, un film « qui fera bander les mecs et pleurer les filles ». Un beau projet dira-t-on. En vérité, c’est un film fait par un homme pour les hommes et dans cette optique pourquoi remettre en cause la misogynie latente du personnage qui insulte sa petite-amie à chaque fois qu’elle fait quelque chose qu’il n’approuve pas alors que lui-même fait pire ? La scène à l’intérieur du taxi est de fait éclairante. Je n'ai personnellement jamais ressenti un autre sentiment envers le personnage que celui du dégoût.


Un autre indice qui donne à penser le sexisme de Gaspar Noé est les scènes de sexe sur lesquelles on a tant jasé. Si elles sont au début du film bien menées, on remarque qu’à chaque fois, Murphy en est le seul protagoniste. Jamais on ne se préoccupera des désirs des femmes avec qui il couche – la seule scène où il est mis de côté est celle du plan à trois avec Omi, ce qu’il ne manquera pas de reprocher à Electra plus tard. Jamais on ne verra un gros plan sur une vulve alors que le spectateur a le privilège de recevoir un simulacre d’éjaculation faciale tape-à-l’œil, le film n’étant tourné en 3D que pour cette scène ridicule et très mal réalisée.


On notera également que le film ne se passe pas d’une exotisation des transgenres qui ont après tout une bite et une paire de sein, ce dont Murphy comme Electra trouvent grande satisfaction.


Ce film n’est pas non plus sauvé par son casting s’échelonnant de passage à extrêmement mauvais. Les actrices féminines semblent être en compétition pour l’accent français en parlant anglais le plus caricatural et personne ne réussira à faire passer une quelconque émotion.


Est-ce que tout est alors à jeter dans Love ? Non. La chronologie non-linéaire est le rythme du récit sont très efficaces et la bande son est de réelle qualité. Le seul intérêt du film tient en fait dans son esthétisme. Il est juste dommage que le film soit miné par sa superficialité et l’ego masculin de son réalisateur.

Galokarp
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le 24 juil. 2015

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