Quelle tristesse de sentir peu a peu un film auquel on avait espoir glisser entre ses doigts. De se résigner a une forme d'indiférence face à un objet cinématographique qui était censé nous toucher et nous éblouir mais qui, au lieu de ça, laisse pantois et de marbre. Ce film c'est le triste Loving.


C'était prévisible qu'un vilain petit canard vienne assombrir un jour ou l'autre la jusqu'alors si brillante filmographie de Jeff Nichols. D'autant plus l'énorme réussite à mon sens de son précédent long métrage qui, lui en revanche, fit chavirer mon coeur. Ici rien ne chavire, ni ne vibre, rien ne vit carrément non plus. Le film démarre avec un douceur et un calme apaisant qui charme. Mais malheureusement ces sentiments se muent très rapidement en un vide sidérant que la beauté de certains plans ne suffit plus à rattraper. Aucune séquence ne tire son épingle de ce jeu plat et linéaire révélant les failles d'un scénario brouillon et presque bâclé. Il stagne pendants près de deux heures et tente de survivre maladroitement au travers de quelques événements qui sont censés apporter quelque chose de plus au film mais qui les dessert plus qu'autre chose au final tant elles se retrouvent à l'état de maquette. La portée de l'affaire Loving auprès de la Cour Suprême est censée également faire changer de cap ce scénario pataugeant. Mais même ici il échoue. Cette court suprême dont on nous rabâche les oreilles durant plus de 45 minutes au fils de séquence d'entretiens d'une futilité accablante finit par nous lasser. La scène de l'interview par les journaliste à la sortie de tribunal reste le meilleur exemple de ces dialogues amplement superflus. Le personnage de Cohen n'aidant pas à donner assez de profondeur pour les faire subsister. Ce dernier fait partie de la galerie de personnages foirées et absolument pas cernable dont est entièrement composé le film.


Quelle tristesse de voir des acteurs sous exploités et paraissant aussi perdus, servant des personnages ratés dans leur composition et très difficilement cernable. On ne peut alors pas s'attacher à ce couple et à leur histoire porteuse de valeurs morales lumineuses qui s'en voudrait l'étendards mais qui se retrouve n'en être qu'une sorte de papier peint un peu fade. Les idées sont là. Mais la mise en scène et l'écriture aux allures je-m'en-foutiste gâchent le spectacle. Le film se retrouve dépourvu de toute forme de dialogue constructif, chaque scène est creuse et n'apporte rien d'essentiel au développement. Du moins au type de développement qui en aurait fait un grand film. Ce dernier se veut être, dans son entreprise de dépouillement des dialogues, ce genre de film où seul les silences et les regards doublés d'une mise en scène ingénieuse suffisent à tout dire au détriment du moindre dialogue. Je pense notamment aux filmographies de Hou Hsiao Hsien, Wong Kar Wai ou encore Terrence Malick pour ne citer que les plus immenses. Or, ici, cela ne fonctionne pas et les personnages se retrouvent tous dépourvus de toute épaisseurs. Il faut une certaine maîtrise pour présenter un personnage dans toute sa complexité sans avoir besoin d'aucune parole. C'est cette maîtrise que l'on trouve dans le cinéma asiatique et qui manque cruellement à Jeff Nichols. Du moins dans ce film précisément.


Même là où Loving aurait pu facilement gagner des points, et où il aurait été essentiel d'en gagner ,se situe au niveau de la famille Loving en elle même, censée être au coeur du coeur de l'histoire elle semble fantomatique. Richard théoriquement chargé d'être le père de famille n'a aucune interaction avec ses enfants si ce n'est un "ça va?" juste après l'accident du petit Don. Ces enfants semblent être placés ici juste pour l'idée qu'ils évoquent, celle de l'union des deux mariés ainsi que pour justifier le besoin de protection grandissant de la famille et sa fragilité. Le cinéaste a le mérite de réemployer ce qui fait l'essence thématique de l'ensemble de sa filmographie, c'est à dire la quête obsessionnelle de la protection familiale, mais semble ici s'user et perdre la fraîcheur qui faisait de Shotgun Stories une oeuvre immensément touchante. Le couple semble tristement factice, on n'y croit pas tellement et lorsqu'un dialogue intéressant s'amorce il est tout de suite coupé court pour laisser place à un fossé monstre entre les deux amants. Malgré ça on notera néanmoins le beau geste d'épargner toute forme de pathos larmoyant au public. Mais en voulant faire abstraction de tout pathos il en vient à maladroitement supprimer toute forme d'émotion. Même les magnifiques regards résignés de Ruth Negga qui relèvent un peu le niveau du film n'y changent rien tant on saisit difficilement le caractère de ses personnages en carton-pâte faisant pâle figure face aux des charismatiques Mud et Curtis Laforche des précédents films. Même le personnage de Grey Villet le photographe interprété par le toujours exceptionnel Michael Shannon vient pendant un court instant voler la vedette à Richard Loving.


En bref un beau gâchis que ce Loving, et une énorme tristesse de ne pas avoir pu aimé ce film baclé, triste point noir au milieu de merveilleux films précédemment réalisés par ce cinéaste au talent incontestable mais qui semble s'être égaré lors de cet aparté romantique. Les beaux messages que le couple mixte symbolise ayant certainement pu s'offrir un meilleur écrin pour se livrer aux spectateurs. On ne pourrait que lui conseiller de ralentir la cadence pour la suite de sa carrière et de prendre le temps d'essayer de retrouver ce qui faisait l'essence et la magie de films tels que Shotgun Stories, Take Shelter, Mud et Midnight Special.

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le 24 févr. 2017

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Aiccor

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