Lucy
4.7
Lucy

Film de Luc Besson (2014)

Cher Luc Besson, ou devrais-je dire, cher philosophe incompris du multiplexe ? Avec Lucy, vous nous avez offert une dissertation visuelle si profonde, si révolutionnaire, qu'elle redéfinit la notion même de la connaissance humaine. Ou du moins, elle essaie, avec la subtilité d'un shoot d'amphétamines cosmiques dans le cortex préfrontal.

Votre postulat de départ est d'une audace qui frise le génie, ou peut-être autre chose : Lucy, notre Scarlett Johansson aux pupilles dilatées par l'éveil (et une drogue synthétique au nom barbare), ne serait autre que la véritable instigatrice de la révolution cognitive. Oubliez l'évolution lente et fastidieuse, les millénaires de petits pas simiesques. Non, la connaissance, la vraie, celle qui permet de contrôler les ondes et de remonter le temps, nous viendrait d'une Lucy originelle sous CPH4, transmettant son savoir ancestral à... eh bien, à Lucy, la première femme, l'Australopithèque. Un transfert de données préhistorique en Wi-Fi neuronal, une sorte de AirDrop divin avant l'heure. Michel-Ange et sa Création d'Adam peuvent aller se rhabiller ; le véritable contact fondateur, c'est un index chargé de nootropiques pointant vers un hominidé perplexe.

On reste pantois devant cette réécriture audacieuse de la paléoanthropologie. Qui aurait cru que l'illumination de l'humanité tenait à une mule un peu trop curieuse de son chargement ? C'est là une véritable leçon philosophique : le hasard, ou plutôt une surdose accidentelle, comme moteur de l'élévation spirituelle et intellectuelle. Descartes et son "cogito" peuvent remballer leurs doutes méthodiques ; un bon fix de substance expérimentale et hop, vous voilà à 100% de vos capacités cérébrales, capable de transformer votre corps en clé USB existentielle.

Et c'est là que réside toute l'ironie philosophique de votre œuvre, cher Luc. Pendant que Scarlett atteint l'omniscience et se dissout dans le continuum espace-temps en nous assénant que "l'ignorance mène au chaos, pas la connaissance", on ne peut s'empêcher de songer au niveau d'utilisation cérébrale de ceux qui ont enfanté ce scénario. Si le cerveau de votre héroïne explose les compteurs jusqu'à devenir pur esprit, celui des scénaristes semble avoir fait le chemin inverse, régressant avec une touchante nostalgie vers un état plus... disons, élémentaire. Avec tout le respect qui est dû à l'huître, ce filtreur consciencieux des océans, on se demande si sa perception du monde n'est pas, par moments, plus affûtée que certaines prémisses narratives que vous nous servez.

Car enfin, philosopher sur le potentiel humain, c'est bien. Le faire en piétinant allègrement les bases mêmes de la science que l'on prétend vulgariser, c'est une performance. Le fameux mythe des 10% du cerveau utilisé, réfuté maintes et maintes fois, devient ici le tremplin vers une métaphysique de pacotille où "le temps est la seule véritable unité de mesure", sauf quand il s'agit de la cohérence du script, manifestement.

Alors, merci, Luc. Merci pour ce moment de vertige intellectuel, cette plongée abyssale dans les capacités insoupçonnées du cerveau... et de la crédulité. Grâce à vous, nous savons désormais que la connaissance ultime est à portée de main, ou plutôt de sachet. Et que, peut-être, se contenter des 10% attribués au commun des mortels (et des scénaristes) n'est finalement pas si mal, si cela nous préserve de telles épiphanies fulgurantes mais un tantinet... vaseuses.

Avec toute la considération due à un démiurge cinématographique qui, lui au moins, n'a pas peur d'utiliser 100%... de sa pellicule.

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