Il fallait oser : faire d’un film une expérience existentielle où tout le monde disparaît — les enfants, le récit, la cohérence, et finalement le spectateur lui-même. Zach Cregger, disciple involontaire de Sartre, signe avec Évanouis une démonstration éclatante du néant en action. Tout y est : l’angoisse, la contingence, le regard vide. On croirait voir un remake de L’Être et le Néant mis en scène par un étudiant de cinéma armé d’un storyboard et d’une crise de sens.
C’est à la mode, ça fait sérieux, ça fait “cinéma exigeant” et ça impressionne les festivals : faire un film en chapitres non linéaires. Résultat : Évanouis n’est pas tant un film qu’un puzzle 1000 pièces vendu sans image de référence. On passe deux heures à se demander si le morceau en forme de nuage est censé aller dans le ciel ou dans la barbe d’un oncle alcoolique.
Cregger découpe son film comme Nietzsche disséquait la vérité : en montrant qu’il n’y en a pas. Tout n’est qu’interprétation, perspective, simulacre. La disparition des enfants n’est qu’un prétexte : c’est la disparition du sens qu’il met en scène, le triomphe du chaos sur la narration. On sent presque le rire de Zarathoustra résonner dans les jump cuts.
Le Mal n'est pas un concept freudien pour Zach Cregger ; non, c'est une vieille dame qui veut retrouver sa jeunesse avec des rituels chelou. La Sorcière de conte de fées, figure de l'aliénation par excellence (elle vole la jeunesse, donc l'avenir), est ici réduite à une sorte de diva de la nécro-esthétique. C'est le triomphe de la hagsploitation élevée au rang de métaphore pour la peur panique de la sénescence.
Bien sûr, il faut saluer l’habileté. Les chapitres s’imbriquent comme des poupées russes et maintiennent le mystère. Mais derrière cette mécanique brillante, il y a toujours le risque que l’émotion se volatilise – comme les fameux enfants du prologue. Le film finit par ressembler à une démonstration : voici comment étirer une disparition de 30 secondes sur 2h20 sans perdre tout le monde.
Zach Cregger signe avec Évanouis un film qui prouve enfin que la narration linéaire est une invention bourgeoise, un reliquat du XIXᵉ siècle que le postmodernisme devait abattre. Disparu la logique, évanouis le temps, bonjour les Rubik’s Cube mal mélangé. Nietzsche aurait adoré : Dieu est mort, et le scénario évanoui.