Voilà ce qu’on appelle un classique, un vieux film qui n’arrive pas à se démoder, bien que la pellicule elle, vieillit. Mais pourquoi il ne vieillit pas le film ? Sûrement parce qu’il y a du fond, et du bon. Cela va plus loin que la simple satire antimilitariste annoncée. Déjà le décor planté est complètement abstrait, ça pourrait être n’importe où ; là c’est supposé être en Corée, on prend. On a deux médecins qui débarquent et sèment la pagaille dans un camp. Ils ne semblent se soucier que d’une chose, prendre la vie du bon bout, et détestent la hiérarchie ou la discipline. Le tour de force est d’arriver à ce niveau de dérision sans tomber dans le film « comique », où donneur de leçon genre : "Ce n’est pas beau la guerre !" Ce ne sont pas des héros, ils ne sont pas parfaits, mais parfaitement égoïstes et individualistes, et incontrôlables. Les gags sont du pur troisième degré, et le comique est de situation. Ainsi ce haut-parleur qui intervient à intervalles réguliers comme un gimmick (gag génial), pour annoncer le menu du jour à la cantine, le film à l’affiche du soir, ou pour passer du rockabilly japonais, c’est complètement décalé au possible, et répetitif comme un coup de marteau. Ce haut-parleur est un personnage à part entière, qu’on se le tienne pour dit. Toujours en gros plan, le monsieur, comme un acteur qui montre son meilleur profil, il rythme les débats, et la débandade, avec la rigueur d'un métronome. Comme on est à la guerre, on voit du sang, mais du sang qui gicle des sutures au bloc opératoire, seule chose qui nous rappelle que c’est "réellement?" la guerre. On voit les blessés qui arrivent à intervalles réguliers, mais c’est tout ! Pour tuer le temps, et tromper la mort, (c'est ennuyeux la guerre, autant s'amuser), on course les infirmières, on boit, on ridiculise les gradés, et tout le monde semble contaminé par cette folie douce, petit à petit, on s'enfonce dans l'absurde. Si on voulait pinailler, on pourrait dire que l'idiotie des supérieurs hiérarchiques est vraiment appuyée. On pourrait dire qu’il est à côté du sujet, Altman, mais non, car cette bêtise est très affutée, travaillée comme le reste, dans le sous texte. La bétise hiérarchique se superpose à la bétise ambiente, et on commence tous à doucement planer, comme dans un nuage de fumée. La farce devient universelle, la farce est complète.
Et ce morceau qu'on joue comme un chant funèbre, mélancolique: «Suicide is painless ». À chanter avec le sourire pour que ça marche, c’est carrément du Monty Python avant l’heure.


Dialogues sur mesure, ou pas du tout, mais tout le temps imparables. Portraits très acides, manque de respect du drapeau, pscychologiquement traumatique pour n'importe quel patriote averti. Et les soldats qui recréent les rivalités de clocher, comme au pays, dans le camp militaire(!) Ça donne :
« Moi je suis Irlandais d’origine, toi t’es Italien, on ne s’aime pas !». Et ça se règle par un match de football américain improvisé…!? Euh...On en oublie la Corée, et la boucherie qui se déroule pas loin, (que personne ne voit ), et la guerre, et on voit toute la bêtise humaine achevé à l’œuvre. Comme je disais ça parle à tous de façon universelle. Le film semble être tourné en lumière naturelle, pour faire plus « sale ». L’idée et le ton dérision semblent prendre le pas sur la forme. L'art du dialogue, le pastiche du film de guerre font le reste. "Comique" qui pulvérisera toute propagande, canon du genre. Heureusement que c’est si subtil et intelligent, très original, peut-être trop, certains pourraient passer à côté.


   Belle leçon de cinéma, palme d'or et comedie, une des seules, peut-être la seule. Et le charme persiste. Suicide is painless... LOL
Angie_Eklespri
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le 16 sept. 2014

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Angie_Eklespri

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