Je suis du genre à spoiler sans vergogne, à vos risques et périls donc !


Mademoiselle est le dernier film de Park Chan Wook, un des trois réalisateurs star du Pays du Matin Calme. Si le cinéma coréen est un incontournable des deux dernières décennies, c'est en partie grâce aux films de l'enfant terrible du cinéma est-asiatique.
Old Boy, Joint Security Area ou encore Lady Vengeance ont fait du réalisateur l'un des noms les plus en vogue du thriller international. Si vous avez vu l'un de ses films, la méticuleuse composition de ses plans, ainsi que le goût de PCW pour les structures narratives non linéaires vous aura sans doute marqué.


Park Chan Wook est un réalisateur assez peu prolifique, son dernier long métrage coréen étant Thirst (2009). Mademoiselle marque donc un événement assez attendu, et ce après l'expérience hollywoodienne Stoker (2013). La nomination du film au Festival de Cannes de 2016 pour la Palme d'Or n'est à ce titre pas anodine.
En 2016, on quitte les thématiques policières et vengeresses pour une intrigue se déroulant entre la Corée et le Japon des années 30. Sookie, une jeune coréenne, est introduite par un escroc (le comte Fujiwara) dans une riche demeure coloniale. Son but est de participer à un plan visant à mettre là main sur la fortune d'une riche héritière du nom d'Hideko.


Le premier aspect notable du film est son esthétique. Le sens du détail de Park Chan Wook est simplement bluffant. Chaque scène est un véritable tableau, que l'on découvre par la caméra virtuose du réalisateur, qui met un point d'honneur à magnifier ses décors, qu'on soit au sein d'un grandiloquent manoir, de la forêt japonaise ou d'un simple champ.
On réalise très vite la raison des 3 ans d'espacement entre Stoker et Mademoiselle. Mademoiselle est un véritable travail d'orfèvre, qui a dû nécessiter énormément de temps et d'efforts, mais aussi une véritable créativité cinématographique. Certaines scènes resteront dans la mémoire du spectateur, de part leur ingéniosité formelle, comme celle de la lecture théatrale dans la grande bibliothèque, ou par la capacité de PCW a montrer l'évolution de la relation entre Sookie et Hideko lors de la scène du bain.


Park Chan-wook est aussi connu comme un virtuose dans l'art de faire tomber les masques de ses personnages et de retourner un récit comme un gant. Si l'esthétique est un des gros point fort du film, cette dernière est souvent trompeuse.
Mademoiselle est un film mettant en scène trois personnages centraux, où tour à tour, chacun sera le dupe de l'autre. Le film se construit en 3 actes, ayant pour narrateurs Sookie, Hideko puis Fujiwara. Chaque acte vient à la fois enrichir et renverser la trame mise en place durant le 1er acte. La trajectoire du spectateur est semblable à celle du personnage de Sookie. On croit d'abord maitriser le déroulement des événements, pour ensuite se rendre compte que l'on a été mené par le bout du nez, ce schéma se répetant pour chacun des personnages.


Avec l'utilisation de cette structure, et d'une intrigue assez complexe, Park Chan Wook aurait pu prendre le risque de perdre son public, de manquer de clarté. On trouve sur ce point une autre grande force du film, qui est la très bonne gestion du rythme. Mademoiselle a avant tout été classifié comme un thriller, et la tension inhérente au genre est bien présente. La Corée a produit une part raisonnable des meilleurs thrillers récents, et on ne déroge pas içi à la règle. En 2h15 de film, je ne me suis jamais ennuyé, chose assez rare au sein des films que j'ai vu en 2016. Cette qualité tient de la maîtrise formelle du réalisateur, mais aussi de la capacité de ce dernier à changer de ton, et même de genre en cours de film, voir de scène.


A l'image de The Strangers, un autre très bon film coréen de 2016, Mademoiselle excelle dans le mélange, l'hybridation. Thriller, avec une véritable dimension dramatique mais aussi romantique, dans le cadre hostile et rigide de l'occupation japonaise de la Corée en 1930, où les personnages ont été forgés par le suicide de proches, par une société construite autour des hommes nobles ou fortunés, où le racisme est omniprésent. Une société brutale, où l'ont s’intéressera aux rapports de domination, et à la futilité de ces derniers. Park Chan Wook se permet d'ailleurs quelques passages de violence emphatique qui font sa réputation. Le tout est ponctué d'humour, un peu noir et très souvent burlesque, dont les pointes constituent autant de petits sursauts au sein du rythme du film.


Les scènes saphiques, aspect très médiatisé de Mademoiselle, ont le mérite de l'originalité. Là où la Vie d'Adèle va avoir une démarche très directe, ce qu'un ami m'a décrit comme "montrer de la viande", Park Chan Wook stylise à grand coups d'obsessions symétriques, et surtout laisse le champ libre aux regards et expressions faciales de ses actrices principales. Rien n'est jamais gratuit, tout est là pour montrer l'évolution des personnages, et leurs relations. Le film a tout de même été classé 18+ dans certains pays, vous êtes prévenus.


Pour donner vie à une œuvre aussi hybride et complète, le film se devait d'avoir un excellent casting. Si les interprétations de Sookie (Tae Ri Kim qui signe là son 1er long métrage !) et du comte Fujiwara (Jung Woo Ha) sont parfaitement crédibles, mais c'est bien Min Hee Kim et son personnage d'Hideko qui crève l'écran.
La noble désœuvrée fascine, intrigue. On assiste à une performance assez incroyable, qui permet à l'actrice de s'exprimer sur un panel très large de registres. Si vous avez déjà vu Mademoiselle, vous penserez à la scène du soin dentaire, où à la lecture de roman érotique, jouée tout en nuance, sans atténuer d'un iota la puissance de la scène et des thématiques abordées.


Voir Mademoiselle, c'est être plongé au sein d'une petite fresque, quelque part victorienne et dickensienne. Logique quand on sait que le film est inspiré du roman britannique Fingersmith de Sarah Waters.
Cru, et parfois très dur de part les thématiques abordées, Mademoiselle est toutefois parcouru d'un souffle mélangeant romanesque, social, érotisme et thriller, le tout orchestré d'une main de maître par Park Chan Wook et sublimé par des performances d'acteurs excellentes. Ce souffle suit les masques qui tombent, les duperies sans jamais perdre le spectateur, et délivre sur son final un romantisme grisant, mettant en scène l'émancipation de deux femmes, qui s'extraient d'un environnement opprimant. Féministe, esthétique, dérangeant et surprenant, Mademoiselle l'est.


Mais au final, Mademoiselle est avant tout l'histoire d'une libération. Un souffle emporte le spectateur, souffle parfaitement représenté par le thème principal du film. Et même si vous ne pensez pas trouver d'intérêt à cette histoire, tout amoureux du cinéma se doit de voir Mademoiselle au moins pour sa plastique.

Behemoth
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le 11 janv. 2017

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