Il existe peu de films aussi paradoxaux que Matrix Resurrections. Si le fond est d’une justesse acerbe, la forme quant à elle est boursouflée par un manque de réelle ambition.


Un peu de contexte : après la vague de films surfant sur les années 70/80, c’est maintenant au tour des années 90/2000 de jouer la carte de la nostalgie. Dans cette situation, Warner décide de réanimer l’une des sagas les plus marquantes de cette époque « avec ou sans les acteurs, avec ou sans les réalisatrices ». Ainsi naquit ce 4ème volet, réalisé sous la contrainte par une réalisatrice usée, en colère et en deuil.


Commençons par le fond, il est expliqué rapidement par des scènes méta très (trop) surlignées que Lana Wachoski est à la fois consciente du contexte de création mais aussi très critique à la fois envers le système, la société mais aussi par la saga qu’elle a coréalisée.


Le spectateur est rapidement témoin de la virulence de ce 4ème volet vis à vis de l’héritage laissé par l’ancienne trilogie. Après quelques minutes seulement, la réalisatrice met à mal son public en dévoilant quelles sont les attentes de la production mais aussi des gens présents dans la salle. Nous comprenons alors que pour elle Matrix ce n’est pas un film d’action, ce n’est pas le bullet time, c’était une critique de la société, un pamphlet politique. Ce désaveu sera omniprésent dans l’ensemble du film : l’empreinte laissée par ses œuvres n’est pas celle qu’elle espérait et par conséquent ce film ne peut être qu’un constat d’échec, ses personnages ne peuvent pas avoir mené à bien leur mission et par ricochet, le film ne peut pas être la suite attendue et ne semble avoir que pour seule réelle motivation de réhabiliter le personnage de Trinity et son rôle vis-à-vis de l’élu. Comme l’explique métaphoriquement un personnage que nous ne spoilerons pas, là où les précédents films avertissaient sur les dérives du numérique, ils sont aujourd'hui prémonitoires et ont participé à forger le système contre lequel ils tentaient de nous mettre en garde.


C’est donc un film qui en sous-marin commente et critique notre société post internet. Nous serions déjà dans la matrice et nous l’avons accepté consciemment en faisant fis des avertissements, par conséquent, Lana ne semble pas croire en la possibilité d’éveiller les consciences. Elle va donc dresser un portrait acerbe de notre civilisation décadente, rappelant constamment que l’humanité n’a aucun problème à vivre sous la domination, qu’elle n’est ni curieuse ni innovante, qu’elle se complait dans « les déjà-vus » et la nostalgie.


Cette même nostalgie aliénante est le moteur des plans de l’antagoniste et mais aussi d’une industrie ne reposant que sur des schémas identiques pour maintenir les fans dans leur zone de confort. Matrix surfe sur cette nostalgie avec une désinvolture crasse, allant jusqu’à ponctuer le film d’extraits des anciens, des personnages dégueulant les phrases cultes et un fan service pour le moins à contrecourant de ce que le monde du cinéma et de la culture proposent aujourd’hui. Le spectateur est rapidement mis face à ses responsabilités en tant que carburant d’un système décadent que le film ne se prive pas de démolir.


Car c’est la société qui est la première cible de l’œuvre. Une société au potentiel gâché, qui n’a pas su se rebeller, une société qui rêve de super héros pour être délivrée mais qui est incapable de prendre sa vie en main. Il n’y pas de destin dans ce Matrix, il n’y a pas de choix, il n’y a qu’un algorithme froid et une analyse pragmatique de l’esprit humain. Et dans ce contexte, le ou les élus n’ont que peu de sens et leur mission ne peut être que vaine. Le film a tout de même la justesse de montrer qu’il existe un noyau de résistance mais que celui-ci est confronté à une arrière garde qui a connu la guerre et qui n’aspire qu’à la paix en fermant les yeux sur un système oppressif.


Lana Wachoski dresse donc un constat très rude sur ses films et sur l’évolution de la société mais son défaut est d’avoir sacrifié sa nouvelle œuvre pour dresser ce portrait. Matrix Resurrection souffre très vite d’une mise en scène assez bancale, d'effets spéciaux paraissant déjà datés, de l'absence de scène de combat appuyée par l’expertise de Yuen Woo Ping et d’un climax long et sans intérêt.


Malgré une ouverture meta plutôt intéressante et dans le thème, le film ne bénéficie pas particulièrement d’une direction artistique soignée. Adieu les tons verts et bleus et l’identité marquée, nous faisons face ici à une œuvre totalement fondue dans ce qui se fait actuellement sans conviction ni maestria.


Le gros point noir après que la réalisatrice a autant fustigé ses films, son public, la société et le cinéma est de ne pas avoir de véritable contreproposition. Car à l’origine tel était Matrix, un film coup de poing venant ébranler le système et mettre en chantier la relève. Mais cette relève n’ayant pas été à la hauteur, on sent vite poindre le sentiment d’échec et l’absence de solution au travers d’un film long de 2h15. La fin parait presque cynique comme un dernier doigt d’honneur avant de tirer sa révérence.


Le problème de Matrix 4 (et d’une grosse partie du cinéma des Wachoski) est que le génie réside dans l’interprétation qui en est faite. Par conséquent, difficile de savoir si la démarche est l’œuvre de son créateur ou de son spectateur. Mais sans réelle proposition cinématographique, le film est en soit un échec car un bon message ne fait pas une bonne œuvre.


Le film ne semble motivé que par 3 éléments : réécrire le personnage de Trinity pour lui offrir le rôle qu’elle aurait mérité dans la saga, refuser l’héritage de Matrix et mettre à mal l’interprétation qui en a été faite et potentiellement sacrifier une dernière fois ses personnages pour qu’aucune suite ne puisse exister sans détruire le noyau dur de la franchise.


Mais force est de constater la vacuité d’un tel message. Le public véritablement visé par celui-ci étant dans les salles d’à côté devant Spiderman, l’antithèse absolue de ce film. Ne reste dans la salle que les fans de la première heure, venant voir de l’action et des bullet time et qui ressortent avec la désagréable impression d’avoir été moqués voir insultés pendant deux heures. Peut-être que le film pourrait être moteur d’un nouveau cinéma de blockbuster contestataires mais il y a fort à parier que la matrice l’emporte et que le public continue à se réfugier dans sa zone de confort, à voir des films qui ne les bousculent pas et qui se nourrit de leur nostalgie pour qu’ils n’aient pas à faire face à un monde qui les dépasse.


Voir Matrix 4 revient à prendre la pilule bleue, il nous met face à la répétitivité de notre vie, face à nos contradictions : nous rêvions de liberté nous nous sommes enfermés nous même dans un monde virtuel. L’œuvre n’est là que pour rappeler que notre démarche n’est pas la bonne et que nous aurions dû sortir de notre zone de confort pour découvrir autre chose, vivre et non revivre. Matrix 4 est un piège et ses spectateurs sont tombés dedans.

SwanP
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le 30 déc. 2021

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