Un Sacre du Printemps trés frustrant

Il faut le dire tout de suite : Ce film ne fait pas peur contrairement à ce qui a pu être dit. Il mettra tout simplement mal à l'aise. Pour les amateurs de films d'horreur et les cinéphiles qui collectionnent les films malaisants, Midsommar est un film tout à fait vivable et encaissable. Si tu as supporté Cannibal Holocaust ou A Serbian Film, Midsommar c'est du petit lait. Le film a le défaut en vérité d'être un (trés bon) best-of de bonnes idées d'autres films. Notamment de la série Hannibal (surtout cette série car c'est criant dans certaines séquences). En amatrice de ce genre de films et du folk horror, j'ai même été déçue, je m'attendais à mieux et à plus. J'avais donc noté Midsommar 6 au départ pour revenir 2 mois plus tard remettre la note à 8, car je ne vais pas mentir ce film m'a marqué tant il pullule de références visuelles et culturelles qui m'appartiennent. Aprés écriture de cette critique je raméne la note à 7. Cette histoire de rite printanier trés archaïque et brut m'a immensément parlé effectivement. Je me suis sentie extrêmement proche du rapport à la mort présenté dans ce film. Mais ce n'est pas poussé, cela ne fait qu'effleurer les sujets abordés. La séquence de la danse ancestrale du mât fleuri de Mai (dont je suis une fervente passionnée, cette danse qui existe dans toute l'Europe du Sud jusqu'au Nord porte différents noms mais on l'appelle génériquement ainsi car elle célébre le retour du printemps) était frustrante car elle n'entraînait pas le spectateur. Je suis trés loin d'être un défenseur de la musique au cinéma (je trouve que souvent elle prend trop de place et qu'elle dicte les émotions de façon souvent trop caricaturale) mais là ça manquait. La séquence n'était pas assez longue et on ne ressentait pas l'épuisement de cette danse. Je me suis sentie mise à distance de cette danse pourtant trés envoûtante. Et si le film ne fait pas peur, reste vivable à mon sens, c'est parce qu'il est assez ... raté à des moments dans les émotions qu'il essaie de convoquer. On ne réussit pas toujours à rentrer dedans car on passe d'une séquence à une autre. Alors oui, on ne s'ennuie pas, y a pas de longueurs, on passe vraiment d'un bail à un autre, c'est fluide, le film coule tout seul, j'ai pas vu le temps passer, et j'imagine que pour beaucoup c'est un atout. Et pourtant il fait déja 2h27, or n'ayant aucune pénibilité à la longueur d'un film, et appréciant même qu'un réalisateur s'autorise à laisser les plans respirer, le film prendre son temps pour s'installer (ce qui n'est pas le cas ici), j'étais frustrée. Le film est presque trop court, et ça se sent, je me demande rétrospectivement si le réalisateur n'a pas eut des contraintes de production et au montage pour raboter son film. Midsommar aurait pu faire le double. Ca aurait pu être un film qui dure plus de 4h et là oui je serais sortie vraiment essorée du film. Il est tout à fait supportable parce qu'on ne s'attarde pas et qu'on passe de séquences en séquences qui te font oublier les précédentes.


Petite précision par ailleurs sur la supportabilité du film. Midsommar ne fait donc pas peur et peut mettre les personnes peu habituées à ce genre de film vraiment mal à l'aise mais : ce film je le déconseille vivement à des personnes psychotiques. L'étant moi-même, je me demande si je ne me suis pas mise en totale distance durant tout le film afin de me préserver. Les hallucinations sont trés réalistes et proches de ce qu'on peut expérimenter dans des hallucinations (en tout cas les miennes et le mobilier qui respire c'était un petit peu éprouvant pour moi par moments mais vu que ça ne dure pas longtemps, qu'on passe à autre chose, qu'on s'y attarde pas, que c'est anecdotique, c'était supportable). De plus, les thématiques abordées rejoignent certaines angoisses qu'on peut avoir lorsqu'on est psychotique (la perte de confiance en autrui, la paranoïa face à un espace social nouveau et qui apparaît étrange, ...). Donc si vous avez une mauvaise gestion de vos troubles, évitez peut-être ce film. Même si à mon sens il est plus vivable que Bandersnatch de la série Black Mirror (qui est proprement insoutenable pour le coup).


Je parle du fait qu'être psychotique peut rendre le visionnage de ce film pénible, mais de fait la question de la maladie psychique est au coeur du film. Dani (jouée brillamment par Florence Pugh que j'ai vraiment apprécié de découvrir) doit se remettre du suicide de sa soeur. Celle-ci s'est tuée une nuit d'hiver avec ses parents dans leur sommeil avec le gaz d'échappement de la voiture (scéne assez trigger en soi mais pareil on s'y attarde pas trés longtemps). On sait en allant voir le film que le personnage principal doit se remettre d'un trauma. Moi j'étais persuadée que ce serait un viol car c'est une récurrence au cinéma. J'ai trouvé profitable d'aborder le traumatisme de la perte d'une soeur malade psychique (elle était bipolaire si je me souviens bien) car c'est souvent abordé de façon caricatural et inintéressante, ici c'était ok et même trés touchant, j'ai chialé. Dani va devoir ainsi vivre une véritable catharsis au travers de cette expérience en Suéde pour surmonter son traumatisme. On peut même faire vite fait une lecture psychanalytique du film. La fin est clairement une libération de Dani qui devient résiliente, et cela à plusieurs titres. Dani se libére de la mort des membres de sa famille mais aussi de sa relation avec son petit ami, relation qui s'était dégradée et avait finit par aboutir à une relation abusive. Lui et ses potes sont par ailleurs de sacrés connards (et tiens c'est amusant, je parle de Bandersnatch au-dessus, et bien dans ses deux films, il y a en personnage perturbateur l'acteur Will Poulter !) qui ne seront pas trés aidants, si ce n'est même carrément nocifs. C'est un film intéressant si on l'observe sous un angle féministe. C'est tout de même l'histoire d'une femme esclave d'une relation qui ne lui apporte rien et au sein de laquelle elle espére pourtant trouver du soutien pour se reconstruire. Or c'est en s'en libérant qu'elle parviendra à retrouver une autonomie psychique. Le rapport à la féminité, au rôle féminin dans un systéme genré est intéressant même s'il raméne le féminin à ses attributs traditionnels qui est celui d'être un individu sacralisé pour sa capacité à engendrer, et l'homme de son côté ne servant plus qu'ici d'outil fertilisateur. C'est une façon intéressante de revisiter les figures archaïques du masculin et du féminin, où cette fois-ci c'est le féminin qui est sublimé. Le film a cela de positif.


Il faut reconnaître ensuite qu'il y a une belle direction d'acteurs bien qu'inégale. William Jackson Harper se retrouve quand même à rejouer le même rôle que dans The Good Place, je trouve ça un peu dommage de cantonner un acteur à un personnage, d'autant plus que c'est un réfléxe dans l'industrie du cinéma de cantonner un.e acteur.trice noir.e à un rôle. Cependant, Florence Pugh est surprenante dans sa descente aux enfers. Elle est saisissante et haléte d'angoisse, de souffrance devant la caméra. Le rapport au souffle et à la voix est trés intéressant également dans ce film. La scéne où Dani se retrouve avec les autres filles à crier pour expurger sa souffrance est bouleversante.


Ensuite au niveau de la réalisation, il y a de trés beaux plans. C'est superbement réalisé. C'est une vraie expérience cinématographique. J'ai regretté que le dispositif cinématographique propre aux hallucinations visuelles ne soit pas plus exploité parce que c'est techniquement bluffant. Je ne sais pas si c'est de la paresse de la part du réalisateur, un manque de moyen, un manque de temps ou tout simplement une volonté de ne pas en faire quelque chose de central dans le film. C'est frustrant comme bien d'autres choses dans ce film.


Ensuite pour terminer, je ne suis pas certaine du message que passe le réalisateur concernant les traditions et le rapport à la modernité. C'est embelli, on sent une vraie fascination pour ces étranges rites païens (totalement fantasmés je précise) mais aussi un vrai regard critique concernant cette communauté qui refuse la modernité. Le film commence dans un espace urbain, on valorise cette vie urbaine et métropolitaine, on bascule dans cette communauté et on sent trés rapidement le malaise. Le propos n'est pas clair et lisible sur le rapport de fascination-répulsion qu'entretient le réalisateur à la tradition.

Kamila-Alice
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le 14 août 2019

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