De la difficulté d'être une mère veuve

Régulièrement, le cinéma australien offre quelques petites trouvailles bien senties qui permettent d’élargir le panorama du cinéma de genre mondial, et plus particulièrement du cinéma d’épouvante horreur. Pas assez prolifique en termes de production cinématographique et toujours associé à une image « mad maxienne », l’Australie n’en reste pas moins un pays viscéral qui transcende ses peurs et ses pulsions à travers des films de genre devenus parfois cultes, comme l’ont été le survival « Wolf Creek », le torture-prom « The Loved Ones », l’animalier « Razorback » ou l’aquatique « The Reef ». Il faudra désormais compter sur le psychologique Mister Babadook dans cette liste tant il rassemble l’essence-même du film de croque-mitaine avec une profondeur psychologique remarquable. Auréolé d’une formidable renommée dans tous les festivals par lesquels il est passé (dont la Mecque Sundance), Mister Babadook a profité de ses bonnes critiques pour être acquis par Wild Bunch, qui nous fait l’honneur d’une distribution française. C’est surtout à l’occasion de sa présentation au Festival de Gérardmer -l’un des plus remarquables d’Europe- que le film a conquis l’ensemble des spectateurs présents, en raflant le Prix du Jury, le Prix du Jury Jeunes, le Prix de la Critique internationale et le Prix du Public. Le Grand Prix du Jury, la récompense suprême du festival, lui a échappé car nombreux sont ceux qui estiment que Mister Babadook comprend trop de similitudes avec le Mamá d’Andrés Muschietti, le vainqueur de l’édition précédente. A tort par ailleurs. De fait pour éviter une ressasse de l’année dernière, c’est l’inclassable Miss Zombie du japonais Hiroyuki Tanaka qui fût récompensé par le jury de Gérardmer. Qu’à cela ne tienne, le film de Jennifer Kent a fait l’effet d’une bombe partout où il est passé et il s’agit certainement de la meilleure récompense qui soit pour un étonnant premier film.

S’étant déjà frotté à l’épouvante par le biais de son premier court métrage « Monster », Mister Babadook peut être vu comme la version longue de son court qui raconte également l’histoire d’une mère et de son fils harcelé par un monstre. A ceci près que Mister Babadook est peut-être plus psychologique, plus traumatisant et offre un nouvel élan au « boogeyman movie ». A la suite d’un tragique accident de voiture, Amelia se retrouve mère veuve avec son fils Samuel de sept ans, un enfant turbulent en proie des troubles comportementaux, dont une sorte d’hyperactivité incontrôlable et une violence gratuite envers les autres. Seule et travaillant dans une maison de retraite, la mère n’arrive plus à gérer les crises de son fils et ses comportements toujours plus agressifs. C’est à cet instant de sa vie qu’un livre pour enfants va l’amener à affronter ses plus grosses peurs. Selon les dires de Jennifer Kent, Mister Babadook est un film à multiples interprétations. Il est vrai qu’on peut y voir plusieurs messages dominants dont la difficulté de surmonter un deuil et celui d’être une mère. Le croque-mitaine -qui donne son nom au film- n’apparaît finalement que comme une forme de représentation mentale des troubles et des peurs d’Amélia. Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que le récit prend la moitié de l’intrigue pour pleinement développer les personnages, qui en ressortent aussi crédibles qu’attachants. C’est l’histoire d’un fils qui aime sa mère et d’une mère qui ne sait pas comment réagir, dépressive et perdue par la perte de son mari et d’un fils qu’elle ne sait plus contrôler. Tout est amené avec une certaine subtilité. Jamais les personnages ne viendront à exprimer leurs sentiments par le biais de dialogue mais chaque plan amène à interroger la relation que chacun a avec autrui. Ce plan furtif où la mère décide de tourner le dos à son fils en se mettant au bord du lit révèle parfaitement la difficulté de cette dernière à vivre avec son fils. Le premier film de Jennifer Kent traite donc de la question de surmonter ses plus grandes peurs pour arriver à vivre. Il est aidé par un duo très juste, dont Noah Wiseman, cet enfant relativement bluffant tant il opère un véritable changement dans son personnage, passant de l’être incontrôlable à l’enfant typiquement œdipien.

En prenant son temps, le film se démarque des standards du genre par une ambiance à la fois onirique et macabre qui permet de voir comment réagissent au sein de cet univers des personnages profonds et extrêmement intéressants. La folie n’est jamais très loin et très souvent le film cherche à nous faire douter des potentiels troubles de la mère, ou du fils, ou bien de savoir si le Babadook existe réellement en tant qu’esprit démoniaque. Depuis le début, Jennifer Kent a sans cesse déclaré être davantage intéressé par l’écriture des personnages que par la fonction « chair fraîche » typique du film d’horreur mainstream. Tout ce qui pourrait sembler prévisible ne l’est pas et la réalisatrice cherche à contrecarrer les codes du genre. Il était tellement simple de faire du collègue de travail l’amant d’une mère en quête d’amour et donc logiquement, le victime d’un monstre qui ne laisserait pas sa place à un nouveau « père » mais le récit n’accorde son importance qu’à ce tandem mère-fils, et au fond seule la mère semble voir un semblant de signe affectif et de désir dans l’importance que lui porte son collègue. Vous ne verrez rarement une telle horreur psychologique autre part que dans Mister Babadook, comme ce plan où la mère prend seule du plaisir dans le lit marital tandis que son fils vient l’interrompre sans l’ombre d’un soupçon. C’est typiquement ce genre de plan qui permet d’en révéler énormément sur le personnage sans le dire. Ce qui manque à Amelia, c’est tout simplement un homme. De même, l’enfant va peu à peu acquérir le statut de la victime, et filmer de manière frontale un étranglement sur mineur est aussi rare que cruel dans le cinéma contemporain. Mister Babadook ose les choses et tant mieux.

Inutile de s’attendre à des jump-scares prévisibles et des effets chocs, Jennifer Kent préfère miser sur une ambiance troublante. En faisant de Mister Babadook un monstre invisible agissant dans l’ombre des petits instants de la vie, elle renvoie à notre propre condition humaine déstabilisée par les difficultés de la vie. Cette longue silhouette noire armée de griffes métalliques a un petit côté Freddy Krueger mais travaille encore plus le mental à travers des plans tout droit sortis de cauchemar. En faisant de la demeure familiale un endroit où la peur peut survenir d’une zone d’ombre, de sous le lit, du plafond, le film s’avère aussi terrifiant que Conjuring de James Wan qui nous scotchait sur le fauteuil quand l’ombre d’une porte était l’endroit le plus terrifiant de la maison. Malgré un budget faible qui voit toute l’intrigue se dérouler dans ce huis-clos qu’est la maison familiale, il y a une vraie volonté de travailler l’esthétisme du film et Jennifer Kent ne se gêne pas pour offrir quelques plans tout droits sortis de l’expressionnisme allemand, de la trilogie d’appartement de Polanski ou plus étonnamment des films de Méliès, le Babadook s’incorporant jusque dans la magie du célèbre réalisateur du Voyage dans la Lune. La photographie est d’une élégance formelle à base de bleus obscurs, de noirs omniprésents et de couleurs très froides en général. Rajoutée à cela, une mise en scène qui passe d’un environnement clinique à quelque chose de bien plus ténébreux. Et que dire de ce travail sur le livre Babadook, composé par l’illustrateur Alexander Juhasz, véritable bijou de terreur. Cette scène où Amelia retrouve le livre est tout simplement une des meilleures du film tant le livre révèle enfin une terreur insoupçonnée et présage une relation destructrice de la mère avec son fils, ou l’inverse. Ce que nous apprend le dénouement du film, c’est qu’au fond Mister Babadook est davantage une métaphore enfouie de la difficulté d’oublier le deuil, le croque-mitaine se terrant dans la cave au milieu des souvenirs du père disparu tragiquement. Il continuera à y loger tant que le deuil n’aura pas été fait mais paradoxalement, la mère et son fils continueront à le nourrir, entretenant le croque-mitaine au sein de la maison, représentation du mental troublé de la mère. Le final est à deux doigts de tomber dans la farce grotesque mais s’avère plutôt démonstratif du traitement psychologique du boogeyman dans le film.

S’attirant une renommée déjà culte dans les festivals par lesquels il est passé, Mister Babadook passionnera les amateurs de films en dehors des standards du genre horrifique. Une telle précision dans l’écriture est à saluer, et même les premiers spectateurs ont cru à cette histoire de Babadook, l’associant à une vieille légende australienne. Huis-clos éprouvant malgré quelques maladresses, on lui pardonnera ces quelques erreurs pour un premier film aussi ambitieux dans le traitement de ses personnages, l’installation réussi d’une ambiance macabre et certains plans de toute beauté. Même s’il était à un cheveu de tout rafler à Gérardmer, Mister Babadook est assurément le vainqueur de cette édition du festival et très certainement l’un des films de genre les plus remarquables de cette année. En reprenant un langage horrifique qui revient aux origines de l’expressionnisme allemand et par la déconstruction de tous ces effets saturés et codifiés du film d’épouvante, Jennifer Kent crie au monde qu’il convient d’apporter un vrai vent de fraîcheur (et d’intelligence) au genre. Pas étonnant que la critique ait été si sensible à cette histoire de croque-mitaine australien.

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le 2 août 2014

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Kévin List

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