Franchement, pourquoi rédigerais-je une critique, puisque le très clairvoyant Serge K., critique de cinéma de son état au magazine "Les Inrocks" et en conséquence porte-plume du banquier d'affaires Pigasse, a su apprécier - en quelques phrases bien senties - le dernier film de Ken Loach. Je vais donc me contenter de citer ce formidable critique (citations en italiques dans la suite) et d'expliciter en quoi ses lumières m'ont tiré vers le haut.


"Moi Daniel Blake est le dernier film de Ken Loach: un tract sentimentaliste et manichéen, imprégné d’un pathos mélenchonien.". D'emblée le titre dit tout, et manifestement, Serge K. aurait pu gagner en productivité, car la suite n'est qu'accessoire en regard d'une telle capacité de synthèse. L'emploi du terme tract nous assène illico l'image du vieux gauchiste rétrograde, qui ruine la planète et ses arbres en distribuant ses feuilles de papier ronéotypées que personne ne lira. L'adjectif mélenchonien est admirablement trouvé : on pense tout de suite radical, communiste, avec en sus une pointe d'agressivité. Enfin, au cas le lecteur serait un peu perdu devant un tel condensé conceptuel, le double usage de pathos, d'une part, et de sentimentaliste, d'autre part, prévient tout de suite le spectateur qu'il va être manipulé. Et puis c'est tellement vulgaire de ressentir des émotions au cinéma...


"Ici, un sexagénaire en arrêt maladie pour problèmes cardiaques se retrouve à affronter le Pôle Emploi britannique et ses méthodes ultra-libérales, visant à fliquer les chômeurs et à les dégoûter de vouloir retrouver un job." Après tout, qu'importe que Tony Blair, pour améliorer les statistiques du chômage, ait massivement accordé à ses chômeurs un statut d'inaptitude au travail (et la pension qui va avec) ! Qu'importe que David Cameron, face à l'ardoise que cela représentait, ait accordé un contrat juteux à la société Atos, pour réévaluer l'aptitude au travail de ces cohortes de profiteurs ! Qu'importe le travail d'enquête du réalisateur et de son équipe ! Serge K. évacue avec brio, en une unique phrase synoptique, le propos social du film, qui il faut bien le dire pourrait inciter le spectateur au populisme le plus trivial.


"Les chômeurs sont sympas, marrants, généreux, solidaires, fraternisant entre eux et avec les voisins noirs (le vote populiste d’une bonne partie de la classe ouvrière, on a du le rêver), des gens biens sous tous rapports et quasiment sans défauts.". Et voilà, on sent maintenant pleinement la citoyenneté et l'ancrage dans le réel qui font le grand critique de cinéma. Enfin, comment ces abrutis de prolos anglais, qui ont voté massivement pour le Brexit, pourraient-ils fraterniser avec des noirs ? Et des noirs gays, qui plus est ? Quant aux chômeurs, chacun sait que s'ils étaient vraiment sympas, marrants, généreux, solidaires, ils auraient trouvé du boulot depuis longtemps - car les employeurs ne demandent que ça - et ne le seraient donc plus, chômeurs ! Sauf bien entendu pour ceux, plus nombreux qu'on ne le croie, qui préfèrent toucher les allocations et rester chez eux regarder la télé en fumant des joints...


"Pour le reste ? Circulez, rien à voir. C’est pauvre, simpliste, démagogique, mais redoutablement efficace : tonnerre d’applaudissements et promesse de grand succès public.". En fin de critique, on trouve un judicieux rappel pour le lecteur qui en aurait oublié l'intro (après tout sait-on jamais, certains pauvres, et donc limités intellectuellement, lisent peut-être ce phare de la pensée qu'est "Les Inrocks"). Donc mets toi bien ça dans la tête : si tu vas voir ce film, tu vas être manipulé !!


"Si l’on rejoint Loach dans son dégoût des méthodes ultra-libérales, la façon dont il manie ses grosses ficelles pour les besoins de la cause n’est juste pas possible.". Et pour finir, en guise de cerise sur le gâteau, Serge K. nous affirme avec fierté ses opinions : il est de gôche ! Farpaitement ! Et le juste pas possible final vient ponctuer avec un indéniable talent son pamphlétaire brulôt contre le cinéma commercial en général, et le blockbuster de Ken Loach en particulier.


Il doit y avoir quelque chose qui cloche chez moi, car pour ma part, j'ai beaucoup apprécié la dignité et l'humanité qui se dégagent de ce film. Peut-être qu'en regardant "Ma Loute" en boucle, ça finira par passer...


Addendum du 21/04/2017 : venant de découvrir ce jour dans la presse que Ken Loach soutient publiquement Philippe Poutou, je me découvre perplexe devant l'usage de la locution pathos mélenchonien par Monsieur Serge K. Et n'ose imaginer ce que serait devenu la critique des inrocks si son auteur avait su vers qui s'orienteraient les préférences de Ken Loach.

Marcus31
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le 13 nov. 2016

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