Ken Loach a quelque chose d’absolument fascinant. Cette capacité de sortir chaque année le même film et de malgré tout réussir à m’emporter est quelque chose de fabuleux.
Le talent sans prise de risque
Le jury du festival de Cannes, comme on aurait pu s’en douter, n’a pas pris beaucoup de risques en attribuant la palme d’or à Moi, Daniel Blake. D’autres films, plus ambitieux, auraient peut-être été également méritants. Mais cet apparent côté très classique ne gâche pas le film pour autant, qui dispose de bien d’autres atouts.
Ken Loach me fait penser aux écrivains de l’OuLiPo, qui s’amusaient parfois à réécrire encore et encore le même texte, en en changeant simplement le point de vue, le temps, le style. Non, Moi, Daniel Blake n’est pas le film le plus original de l’année. Mais au fil du film, on tombe dedans, sans s’en apercevoir.
LE LAISSER PASSER, A 38 !
La peinture sociale est, comme toujours chez Loach, bien présente. Daniel Blake (campé par un déroutant Dave Johns, qui livre une belle performance dans son premier rôle au cinéma) est un menuisier veuf de 59 ans qui est victime d’un accident cardiaque. Il ne peut plus travailler et doit recourir à l’aide sociale. Mais au Royaume-Uni, les services sociaux sont sous-traités par des compagnies privées, et l’une d’elle le déclare apte, lui conseillant de s’inscrire au chômage. Commence alors le parcours du combattant, pour obtenir de quoi survivre. Le spectateur est, assez vite, désarçonné par cette surenchère, mais force est de constater le caractère aberrant de ce système britannique, entre une administration dédalesque où tout est sciemment organisé pour décourager les personnes et un système déshumanisé qui ne fait pas cas de l’individu.
L'espoir, toujours
Mais au milieu de cet univers terrifiant, Loach nous montre brillamment toute l’humanité qui demeure, à travers le personnage de Katie (servi par une excellente Hayley Squires), mère de deux enfants, sans emploi et désespérée. L’amitié entre Katie et Daniel est le principal aspect du film, celui qui, toujours, demeure après chaque coup dur.
Moi, Daniel Blake s’avère donc être un constat pessimiste sur l’état de la société, largement nuancé par un formidable et paradoxal message d’espoir : ce qui reste pour résister à la déshumanisation de la société, c’est l’humain, ses liens intarissables avec les autres humains et sa volonté, toujours, de survivre.