Monsieur Joseph
7.1
Monsieur Joseph

Téléfilm de Olivier Langlois (2007)

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Il était arrivé dans cette petite ville du Nord quelque 40 ans auparavant, et sa librairie, spécialisée en livres rares, faisait la fierté de l’ancien instituteur kabyle, Youssef Hamoudi , devenu, pour plus de commodité, Monsieur Joseph.
Gommer les différences, vivre comme tout le monde, se fondre dans la masse, non par honte, mais par souci d’intégration, celle qui fait s’échanger poignées de mains et sourires dans la rue ou au café du coin, tout en sirotant son petit noir du matin avec les habitués.


Cet homme affable, passionné de littérature et apprécié de tous, avait créé la surprise en épousant Tina une fille du pays, la moitié de son âge : 35 ans de joliesse et de grâce et l’envie de corps jeunes et ardents, à son image, il ne le comprenait que trop bien.


Rien de lubrique pourtant dans le sentiment qu’il développait pour cette « petite fille » toute simple, livrée à elle-même depuis toujours, mais une infinie tendresse et la volonté de rendre heureuse sa protégée : ce serait leur secret et un pacte tacite de confiance partagée.


Alors, quand Tina s’absentait une ou deux nuits et lui revenait, les joues plus roses, le regard plus brillant, le baiser affectueux qu’elle déposait avec douceur sur ses lèvres, suffisait au bonheur de Joseph.


Oh, bien sûr, il y en avait eu des regards en coin et des blagues salaces sur le couple qu’ils formaient et le « tempérament » de Tina, mais bon an mal an, les plaisanteries avaient pris un tour plus jovial et fini par se tarir.


Comment ne pas la chérir, la choyer, elle, sa chevelure rousse et ondoyante, son sourire radieux et sa fine silhouette, pensa-t-il ému, en la regardant s’éloigner, ce soir-là, son petit sac rouge toujours en bandoulière…Sa présence lui manquait déjà.


Et ce matin, pour la première fois, Tina n’était pas là, Joseph l’avait appelée, en vain, se heurtant immuablement à la voix enjouée du répondeur.


Et si elle ne rentrait pas, se disait-il, taraudé par une inquiétude sourde qui croissait au fil des heures.


Se rassurer, ne rien changer à ses habitudes, donner le change : retrouver ses copains de café, serrer les mains, répondre à la sollicitude complice de Julien, le barman :



-Et ta femme, elle va bien ? Elle est mignonne, Tina, elle est jeune, mais la différence d’âge, qu’est-ce que ça fait, c’est pas important, hein, Joseph?



Faire bonne figure, satisfaire la curiosité du commerçant, se raccrocher au premier mensonge venu:



-Tina, elle est partie à Valenciennes voir Carole, elle rentrera bientôt.



Chez Pepito le restaurateur, l’accueil est chaleureux, la poignée de main franche et le sourire amical : on installe Monsieur Joseph à sa table avec force égards et l’amabilité qu’on réserve aux clients de choix.


_Monsieur Joseph est seul ? Qu’à cela ne tienne, il sera toujours le bienvenu ici.


Toutefois, dans le quartier, les nouvelles vont vite : on parle, les langues se délient, on s’interroge sur l’absence prolongée de la jeune femme, partie faire un babysitting chez une voisine, laquelle a dû répondre aux questions d’un mari visiblement inquiet quant à l’emploi du temps de sa jeune épouse.


Le doute s’insinue, le fiel se répand, la rumeur enfle, attisés par la mère et le frère de Tina, qui ont toujours vu en cet homme discret, cultivé et secret, un reproche vivant, une remise en cause implicite de ce qu’ils sont et surtout l’ETRANGER qu’il n’a jamais cessé d’être.


La police s’en mêle, les accusations fusent et vont bon train, mère et fils se déchaînent avec férocité, faisant remonter une vieille histoire à la surface : Il y a quatre ans, qui a tué la jeune femme retrouvée noyée dans le canal ? Qui, sinon Joseph, le Kabyle, l’étranger, et donc le COUPABLE ?


Il n’aura fallu que quatre jours pour balayer plus de quatre décennies d’intégration et d’estime, quatre jours à cet homme sincère et philanthrope, pour se perdre dans l’écheveau des malentendus et des médisances de sa petite ville, quatre jours pour résister à l’accusation du meurtre de sa jeune femme qu’il aime par-dessus tout…


C’est un crève-cœur que d’assister à la chute inexorable de ce personnage magistralement incarné par un Daniel Prévost admirable, à la subtilité de jeu confondante : la descente aux enfers d’un homme intègre qui ne demandait qu’à mener une vie tranquille dans son petit coin du Nord.


Histoire du racisme ordinaire, on pense bien sûr à Dupont Lajoie, avec , en plus,
«un acteur habité, au-delà du jeu» un homme auquel on s’attache et s’identifie, exceptionnel d’intensité.


Et comme le déclare lui-même Prévost :


Joseph est victime de la rumeur, de la méchanceté. Les sous-entendus font si mal qu’ils amènent ce personnage tellement humain à la destruction de lui-même.
Vous allez au personnage, il vient à vous.
Au-delà de mes origines kabyles, j’ai été touché par ce drame humain et par la générosité de ce personnage attendrissant.
Le caractère universel du sujet est ce qui fait sa force
.


Superbe fiction franco-belge réalisée par Olivier Langlois et son scénariste Jacques Santamaria adaptée librement du Petit homme D’Arkhangelsk de Georges Simenon et somptueuse performance d’acteur de Daniel Prévost, immense comédien, qui m’a happée d’un bout à l’autre.


Critique écrite et postée le 23 juillet 2022 (et non le 28 comme indiqué, une correction faite le 28 ayant fait remonter ladite critique dans le fil.)


[https://www.youtube.com/watch?v=UdJoeB9H5mo][1]

Créée

le 28 juil. 2022

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Aurea

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shanghai
10

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