Pour son premier long-métrage, la réalisatrice Marie-Hélène Roux a choisi le biopic : elle raconte l’histoire du médecin congolais Denis Mukwege (Isaach de Bankolé), futur prix Nobel de la Paix (2018). Ce docteur, que l’on peut qualifier de héros, a sauvé – au péril de sa vie et de celle de sa famille – des dizaines de milliers de femmes victimes de violences sexuelles et de mutilations génitales en République Démocratique du Congo. En 2011, sa rencontre avec le chirurgien belge Guy-Bernard Cadière (Vincent Macaigne), lors d’un séjour à Bruxelles, s’avère déterminante pour les soins des femmes qu’il accueille dans son hôpital Panzi, à Bukavu.
Qu’on se le dise, Muganga – Celui qui soigne ne fait pas dans la dentelle, non tant visuellement qu’émotionnellement : il donne une claque qui laisse un goût amer lorsque le générique de fin plonge la salle dans un silence évocateur. Porté avec brio par Isaach de Bankolé, dont la justesse est parfois désarmante, le film fait partie de ceux qui nouent la gorge pendant 1h45 et restent longtemps en mémoire après la projection.
C’est une histoire que l’on connaît peu, voire pas du tout, absente des grands médias : depuis les années 1990 et l’arrivée de militaires étrangers (principalement du Rwanda et du Burundi) en République Démocratique du Congo (RDC), les corps des femmes et des enfants sont utilisés comme armes de guerre. Margot Wallström, envoyée spéciale de l’ONU sur les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits, a décrit la RDC comme « la capitale du viol ». « Le viol est devenu une arme à bas coups, le corps est un champ de bataille », entend-on dans le film. Les rapports des Nations Unies donnent le vertige : une femme est violée toutes les quatre minutes. Et parmi elles, 30 à 45 % sont des enfants, selon l’UNICEF. « 1 100 femmes sont violées par jour », apprend-on dès les premières minutes de Muganga. En 2024, on dénombrait 130 000 victimes, contre 123 000 en 2023.
Plutôt que d’adapter le livre Panzi, écrit par les deux médecins, la réalisatrice a préféré une fiction librement inspirée du combat de Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière. Le film n’en est pas moins porteur d’une émotion intense. Par sa vérité, il dérange autant que la parole de Mukwege dans son propre pays. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a fallu dix ans pour qu’il parvienne jusqu’à nos écrans. Muganga nous oblige à prendre conscience de la réalité du monde et du cocon doré dans lequel nous vivons, alors qu’à quelques milliers de kilomètres, il n’y a qu’horreur et survie. Certaines scènes, insoutenables, remuent par leur violence. Pourtant, Marie-Hélène Roux montre un cinéma qui a du sens : avec justesse, elle rend visible une vérité trop souvent passée sous silence, en la rendant accessible à un large public. Elle ouvre le débat public et, peut-être, permettra de faire bouger les lignes si l’on croit encore au pouvoir de la fiction…
Muganga met à nu les atrocités dont sont capables les êtres humains, mais aussi le courage et la force de deux hommes face à une situation qui semble sans issue. « La visite au zoo est finie ? Des médias, plusieurs sont déjà venus, mais rien ne change », cingle le Dr Mukwege dans le film. Ces phrases, qui hantent longtemps, soulignent l’absence de visibilité médiatique et, quand elle existe, son faible impact sur les politiques nationales et internationales. Récompenses et prix n’y changent rien : la situation empire face à l’inaction internationale. « Quand j’ai fait mon discours aux Nations Unies, un seul siège était vide, celui de mon pays. »
Dans cet endroit où le corps des femmes devient une arme aux mains des agresseurs, la question du droit à l’avortement est aussi abordée, à l’heure où ce droit est remis en question dans certains pays comme les États-Unis, dont une dizaine d’États interdisent depuis 2022 l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Jusqu’où va la liberté d’une femme violée qui tombe enceinte ? La vision de Guy-Bernard Cadière, athée, s’oppose ici à celle de Denis Mukwege, croyant – et pasteur en plus d’être médecin dans la vie réelle.
Quand les lumières se rallument, il ne reste qu’une vérité nue : Muganga nous confronte à notre impuissance. Non pas avec reproche, mais avec la dureté nécessaire. Il nous laisse avec une certitude implacable et démunis : que peut-on faire au final, sinon s’informer, sensibiliser et ne pas oublier les tragédies qui frappent des pays pas si éloignés du nôtre ?
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