A la découverte de la narcolepsie

  • Ce film nous plonge en tant que spectateur dans un entre deux mondes : l’univers du cinéma américain et celui de la fiction documentaire proche de l’émission « Strip-tease » diffusé à l’époque sur Canal plus puis sur France 3. Les deux réalisateurs, Tristan Aurouet et Gilles Lellouche, nous décrivent une France d’en bas dépeinte de manière cruelle sans jamais verser dans le cynisme ou le mépris. Ils définissent une France en voie d’Américanisation où des êtres se raccrochent à une quête d’identité sans fin où se mêlent leurs aspirations superficielles et leurs places dans la société. Cette Américanisation se voit dans les prénoms attribués à la femme de Gus (Pamela), à son fils (Kévin) ou même au meilleur ami de gus (Lenny). Le film est axé principalement sur l’amusement du point de vue des petites gens voulant sortir de leurs conditions.
  • Le cast du film est un casting 5 étoiles. Guillaume Canet incarne Gus, un homme narcoleptique. Cette alternance entre le stade du réveil et de l’endormissement est une dualité intéressante à souligner. Il est tiraillé entre le fait de rechercher un travail et le perdre dans la foulée. Il cache ainsi ce mal-être douloureux par cette candeur, son sourire et sa sympathie. Sa maladie le pèse. Il est, d’ailleurs, souvent incompris par son entourage. Son rythme de jeu s’adapte à un tempo proche de celui d’un rythme musical, chronométré au millimètre lorsqu’il adopte un ton décalé ou tombe de sommeil à chaque émotion forte. Il en devient même touchant lorsque ce trait narcoleptique (Gus le définit comme un défaut de fabrication) se dessine fortement : nous remarquons à cet instant-là la détresse de Gus.
  • Benoît Poelvoorde en fan de JCVD nous livre une prestation d’un homme pathétique flamboyant apportant une fraîcheur teintée d’amertume avec des répliques calibrées pour lui. D’ailleurs, les deux réalisateurs ont écrit un rôle sur mesure pour lui. Nous le ressentons à chaque fois qu’il s’exprime durant tout le film. Le moment fort pour ce personnage est lorsqu’il sera jugé par son idole, JCVD, faisant fi de figure paternelle. Lenny fuit même son regard : nous avons remarqué qu’il le regarde rarement en face. Leur relation tutélaire père-fils est émouvante.
  • Zabou Breitman en esthéticienne colérique joue comme il faut la partition donnée. Elle est parfaite et crève l’écran en se rêvant une grande cheerleader.
  • Les seconds rôles sont tout aussi étincelants à l’écran. Le clin d’œil respectif à leurs compagnes de l’époque (Mélanie Doutey et Diane Kruger) m’a bien fait rire. L’auto-dérision des deux actrices relève une certaine intelligence et subtilité de leur part. Laurent Laffite est magistral en présentateur looser d’une animation low-cost. L’éditeur loufoque incarné par François Berléand est frustré car son rêve est de devenir humoriste. Le psychiatre Samuel Pupkin (Guillaume Galliene) est celui qui tire le plus son épingle du jeu parmi les seconds rôles.
  • Passé les 20-25 premières minutes, nous voyons la prise de dimension plus humaine de chaque personne. Nous pouvons apercevoir une analogie entre les gens narcoleptiques et les gens endormis ou anesthésiés par leur frustration respective n’osant pas aller jusqu’au bout de leur rêves.
  • Le découpage alambiqué est tape-à-l’œil tout en restant très sobre. Le délire visuel est foisonnant d’idées. Plusieurs scènes sont à décrypter :
  • - La thérapie de groupe représente un décor de cirque me faisant penser à un abri de monstres de foire (Freaks). Le visuel est intéressant dans le sens où le psychiatre frustré de ne pas avoir réussi dans le monde du dessin va s’ancrer dans un décor coloré et enchanteur. Gus se rapproche de son rêve tout en restant éveillé. Cette thérapie sur les conseils de ce psychiatre va faire prendre conscience à Gus de matérialiser ses rêves en les dessinant. Finalement, Gus aura trouvé un temps le moyen de réaliser son rêve.
  • - Le reflet de la flamme dans les yeux de Samuel Pupkin (Guillaume Galienne) est une trouvaille vue auparavant mais effectuée à bon escient. Le nom Pupkin n’a pas été choisi au hasard puisqu’il est le héros en quête de gloire médiatique dans le film « La valse des pantins » (The king of comedy) de Martin Scorcese.
  • - Chacun des rêves de Gus est un fourmillement de régals pour nos pupilles avec des scènes magistrales, notamment celle du début avec cette séquence de guerre digne d’un jeu vidéo du type Call of duty. Une autre scène a retenu mon attention : le règlement de compte avec le fisc paradant avec sa compagne fantasmée au milieu des balles tels le couple intrépide Bonnie & Clyde invincible et onirique. Ses rêves sont alertes, décalés de la réalité et haut en couleur contrairement à sa vie plus morne avec des couleurs plus fades (les décors de sa maison ou la teinte beige de son pavillon classique).
  • La photo est travaillée grâce à la réalisation des clips de Gilles Lellouche et le travail technique de Tristan Aurouet sur ses précédents films en tant que technicien. Elle est valorisée avec les looks années 80 de Guillaume Canet avec les flashbacks de son adolescence : les différentes coupes arborées à la Val Kilmer (Wonderland), Robert Smith (The Cure), Nicola Sirkis (Indochine) ou Georges Michaël (Wham). Dans les bonus du film, nous apprenons que Guillaume Canet a tourné l’ensemble de ses séquences en une journée et s’est fait couper les cheveux au fur et à mesure de celle-ci.
  • Ce film est un divertissement de haute volée et peut être catalogué comme un ovni original et décalé via sa galerie de personnages complètement déjantés. La tonalité désenchantée du film « Narco » lorsque l’ensemble des personnages pathétiques gravitant autour de Gus prennent conscience de la vacuité de leurs désirs dérisoires, chacun s’épuisant à courir après d’inaccessibles chimères.
  • Le film ne se conclut pas sur une happy end. Elle est bien amenée, un peu triste et mélancolique comme à l’image de chacun des protagonistes. Chaque protagoniste rêve de gloire sans y parvenir. Gus adopte une attitude plus mature à la fin du film même si nous ressentons une pointe de regrets dans son regard quant à sa non-réussite dans le secteur de la bande-dessinée et n’aura pas de grande destinée. Il comprend que la vie réelle est un trafiquant de rêve en surpuissance difficilement atteignable et saisit qu’il faut redescendre sur terre afin de ne pas accroître ses frustrations et de trouver son bonheur en étant un anti-héros. Le film a le mérite de sensibiliser le spectateur à une maladie incomprise. Guillaume Canet et les réalisateurs ont rencontré un vrai narcoleptique pour les besoins du film et afin de ne pas trahir cette maladie. Ils ont découvert que les narcoleptiques ont la faculté de reprendre leurs rêves où ils les ont laissés en se réveillant et à les poursuivre naturellement.
Lili-Jae
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le 29 oct. 2023

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