Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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S'attaquer à la religion au cinéma ne constitue pas une tâche aisée. S'attaquer au christianisme non plus. S'attaquer au personnage de Noé encore moins. Darren Aronofsky le savait mieux que personne avant de lancer son projet. Comment ne pas frustrer les croyants, et en même temps toucher tout le spectre cinéphile ? Rude défi, à n'en pas douter. Mais paraît-il qu'il en rêvait depuis ses débuts. Sauf que depuis ses débuts, Aronofsky s'est fait un nom et une place dans le monde du cinéma. Après des succès retentissants tels que The Wrestler ou Black Swan, vient donc forcément l'inévitable case blockbuster ; le moment où, une fois les distributions et les productions acquises, les acteurs et le budget conquis d'avance, le réalisateur doit confirmer son talent et sortir de sa grotte "film d'auteur", pour proposer un film grand public, dont la promotion soit tonitruante, et dont sa rentabilité soit assurée avant même sa sortie.

Noé est donc étrangement celui-là. Étrangement car le ton choisi est immédiatement solennel, nous narrant la création selon la Bible. Qui dit Bible, dit forcément manichéisme, et en cela le récit de Noé tourne parfois en ridicule, construit bizarrement, plongeant ainsi le spectateur dans une position très inconfortable pendant une bonne heure de rodage. Tantôt bavard, tantôt spectaculaire, mais toujours trop copieux, Noé surprend mais surtout déçoit par son survol des relations entre l'équipe pourtant resserrée de ses protagonistes. Jamais il ne tente de mettre en place une quelconque affectivité pour Noé, encore moins pour l'un de ses descendants, seulement peut-être pour sa femme, bien que, elle aussi, paraisse survolée et sonne cruellement creuse. Si son personnage ne bénéficie donc d'aucune empathie de notre part, c'est pourtant Russell Crowe qui porte le film à bout de bras, son faciès apocalyptique se fondant parfaitement dans un décor de la même teneur. C'est lui qui porte - plutôt vaillamment - l'ensemble des instants post-déluge, au cours duquel le formatage hollywoodien blockbusteresque est évité.

Mais lorsque viennent l'assaut et la destruction, aussi impressionnants soient-ils, on sature. Le film aurait sans doute dû s'arrêter là, il aurait à coup sûr gagné en équilibre et évité cet agaçant découpage en deux actes qui constitue l'un des défauts majeur du film. L'un des défauts, car il y en a bien d'autres, le (toujours aussi mauvais) jeu d'Emma Watson ou encore les images de synthèse des animaux, bien trop modelés, pour ne citer qu'eux. Il y a aussi le message qu'Aronofsky tente de nous faire passer, que l'on ne parvient jamais à décrypter : est-ce un réquisitoire ou un plaidoyer sur la condition humaine ? Les deux, répondront les fans. Ni l'un ni l'autre, répondront les sceptiques. Quant aux religieux, ils crieront, Texte Sacré en main, au scandale et au blasphème. Nous voilà bien avancés. Le seul intérêt que présente ce deuxième acte se résume en fait au timelapse de la création, captivant mais trop court, à l'image de la trame, palpitante seulement par instants, comme sursautant soudainement devant sa torpeur antérieure.

Subjuguant seulement lorsqu'il retrouve une mise en scène épileptique propice à Requiem for a Dream, cette adaptation religieuse reste bien trop longue, absolument trop vague dans sa tentative d'accroche, et présente - en plus - une bonne partie des défauts du typique blockbuster qui en fait trop (la salle riait par moment !!). Reste une belle histoire et une sensationnelle tempête. Mais au final, que l'on soit évêque, athée ou même extra-terrestre, Noé dégrise plus qu'il ne séduit.

Je mets 5 parce que je te respecte quand même, Darren.
critikapab
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le 14 avr. 2014

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critikapab

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