Camus aurait-il pu aimer OLD ? Peut-être. Si la question se pose, c’est sans doute parce que le film de M. Night Shyamalan creuse dans l’étoffe du temps pour exprimer un décalage – absurde et effrayant – entre l’individu et le monde, entre une condition humaine et un environnement. OLD impose ainsi une attitude existentielle, celle d’un regard face au temps qui passe, toujours un peu trop vite. Car oui, dans le petit monde de Shyamalan, il faut vivre avec la certitude de la mort à la fin d’une journée. Dans ses Carnets, Camus écrivait que « le temps ne va pas vite quand on l’observe. Il se sent tenu à l’œil. Mais il profite de nos distractions. Peut-être y a-t-il même deux temps, celui qu’on observe et celui qui nous transforme. » C’est sur ce double mouvement que semble se construire OLD, autant sur une observation que sur des transformations. Malheureusement, le résultat ne sera pas à la hauteur du programme. Un peu comme ce texte reposant peut-être sur un amas de conneries qu’un spectateur tentera de faire passer pour une réflexion.


L’enjeu présent : le cinéma. Si Rufus Sewell nous le rappelle au détour d’une recherche de Missouri Breaks, c’est peut-être parce que le sous-texte a plus d’importance que le texte lui-même. Adaptation d’un roman graphique français, OLD se construit autour d’un groupe d’individus emprisonné sur une plage où le temps a décidé de courir son meilleur sprint. Une plage qui, d’une certaine manière, se construit autour d’un temps cinématographique : l’accélération liée à la narration filmique contamine ici le temps réel du film et l’existence même des personnages. Ce mode avance rapide, concept aussi fascinant que potentiellement foireux, nous ramènera bien évidemment à des thématiques connues : l’irréversibilité du temps (Shy nous rappelait déjà avec Glass que les super-héros vieillissent aussi) et ses conséquences sur les corps (petite réminiscence de The Visit), les êtres et les esprits. Tout un concept porteur d’anxiété pour tous les thanatophobes de ce monde. Ce que filme Shyamalan, c’est un monde de l’éphémère où il apparaît terrible de devoir vivre sans pouvoir exister. Regrettable que l’empathie soit aux abonnés absents. Tout comme l’émotion.


Il est néanmoins fascinant de voir ces personnages incapables de faire face à l’absurde dans lequel ils baignent. Des êtres qui ne trouvent jamais la force en eux pour une révolte, solidaire, face au fléau du destin ou du scénario qui s’écrit pour eux. Il suffit de voir les moyens mis en œuvre pour s’en sortir : absurdes, jamais efficients, jamais intelligents. La prise de conscience – évidente pour le spectateur car soulignée avec lourdeur par le cinéaste – mettra paradoxalement du temps à advenir. Entretemps, OLD fera vivre un enchainement d’expériences absurdes à ses personnages. Si bien que le film de Shyamalan a tendance à plonger dans la pure série B où le ridicule serait une dynamique en soi. A l’image de ces répliques qui ont la subtilité d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.


Dans cet alliage temps de cinéma / temps réel, Shyamalan nous confronte à des personnages qui pensent être des personnes ; de simples regardés face à un regardant (l’auteur qui analyse et récolte les données pour en faire un film ou un « médicament »). Ces personnages en cours de caractérisation tentent alors de s’émanciper en vain du stéréotype qu’ils incarnent ; des personnages-fonctions à en juger par le nombre incroyable de fois où ils s’amusent à glisser leur profession au détour d’une réplique. Car si la répartie se veut aussi mécanique que fonctionnelle, c’est peut-être bien pour interroger la construction du personnage lui-même. Qu’il soit bien assis au volant de son mini-van ou bouffant des popcorns derrière ses jumelles, Shyamalan se met en scène pour mieux interroger le statut de l’auteur qui guide ses personnages dans un cadre dont ils ne peuvent sortir : cette plage, c’est le film lui-même, c’est un scénario où les vagues sont des pages qui se tournent.


L’impasse du récit révèle alors un sous-texte / un récit inversé. Comme s’il était conscient que ses mythologies ne menaient à rien, Shyamalan sort la carte du cynisme : en questionnant le rebondissement au cœur d’une narration qui en use et en abuse, le cinéaste, arrivé en bout de course, doit laisser le « twist » derrière lui pour se renouveler. Cette dimension méta reste néanmoins annihilée par une fin qui cherche l’explication, la finalité, à un phénomène qui aurait dû rester de l'ordre de l’impalpable, du non résolu ; un peu comme la vie et ses va-et-vient incessants. Une réponse préfabriquée qui a une bien fade saveur où, contrairement à Camus, Shyamalan crée un espoir – hollywoodien – et un refuge / une évasion à sa plage qui n’avait besoin d’aucune échappatoire. Mais au fond, OLD pose une question qui a moins à voir avec le perceptible qu’avec l’imperceptible : l’art est-il indissociable de la vie ? Ou quand le temps cinématographique culbute le temps réel.


Les acteurs eux-mêmes n’échappent pas à la noyade. On ne sait jamais si leur jeu est simplement boiteux ou s’ils jouent correctement un texte défectueux. Optons pour la seconde option. La mise en scène de Shyamalan se révèle toutefois surprenante. Sa caméra erre de manière énigmatique sur ce petit bout de sable. On ne sait jamais vraiment ce qu’elle cherche à capter si ce n’est un déséquilibre, une désorientation, une accélération temporelle, un hors-champ où le temps fait son œuvre. D’étranges et impétueux mouvements viennent alors accrocher le regard ; des zooms avant et arrière associés à des travellings qui nous ballotent moins pour le sens que pour l’effet ou l’agitation. Si sa mise en scène en appelle à la sensation, elle oublie bien souvent l’émotion. Et l’amas de turbulences que déploie OLD n’est pas suffisant pour nous faire oublier l’instabilité de l’édifice. « Avec le temps, tout s’évanouit » dit-on ; je dirais même qu’à force de forcer sur le temps, OLD s’oublie. Finalement, on en revient toujours aux mêmes jeux de mots foireux : si la « Life is a beach », Shyamalan « is » ce touriste incapable d’utiliser son génie pour construire un solide château de sable.


A Wrinkle in Time


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blacktide
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le 8 nov. 2021

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