Si on devait imaginer à quoi pourrait ressembler l'enfer sur Terre, cela serait sûrement assez proche de ce que nous décrit ici Kaneto Shindô. Dans un marais hostile, vivent deux femmes qui profitent des hauts roseaux pour tuer les soldats qui s'y perdent afin de les dépouiller de leurs biens avant de les jeter au fond d'un trou.


Le réalisateur nous offre un jeu à trois entre une vieille femme qui a perdu son fils, sa belle-fille et un soldat revenu de la guerre. Ce dernier tombe sous le charme de la jeune fille alors même qu'il n'a pas réussi à sauver son fiancé, raison pour laquelle la mère fera tout pour s'opposer à cette union.


Le sujet principal demeure celui de la pulsion. La mère blâme les samouraïs pour avoir commencé la guerre qui a conduit à la mort de son fils. Pourtant, ce dernier a bien été tué par des villageois qui souhaitaient sûrement piller ses affaires, tout comme le fait sa mère avec les soldats perdus. Finalement, à part les samouraïs et les généraux "qui font leur guerre", il est assez difficile de déterminer qui est véritablement à l'origine de ce chaos, chacun des protagonistes ayant toujours une réelle motivation pour ses actes.


Si la faim est omniprésente, c'est bien de la pulsion sexuelle qu'il est avant tout question ici. La mise en place du triangle amoureux met en cause l'association meurtrière entre les deux femmes et la plus jeune passe progressivement du statut de femme guerrière à celui d'icône du désir. D'ailleurs, les scènes de combat sont filmées avec une très grande brutalité et la mort est montrée avec sa véritable horreur. A l'inverse, les scènes de sexe viennent magnifier les corps nus tout en montrant le caractère effréné de cette pulsion.


Au final, il est assez difficile de condamner le comportement des personnages, quand bien même cela mène à une véritable tragédie. Ce sont toujours les pulsions primaires (la faim, l'instinct de survie, la libido) ou l'humanité (l'amour, la jalousie) des protagonistes qui viennent déranger l'équilibre précaire qui règne au sein de ce no man's land. Sur ce point, il convient de noter que Kaneto Shindô réussit parfaitement à construire son univers : la grotte du receleur est un lieu qui devient vite familier, tout comme les deux huttes, le trou et la berge. Enfin, le flottement des roseaux au rythme de l'action est peut-être ce qui marque le plus le spectateur.


Véritable ode à la sensualité, Onibaba, les tueuses est parfaitement servi par une photographie très contrastée et un travail plastique tout simplement magnifique.

Kevin_R
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le 13 déc. 2015

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