À l’été 2024, Kevin Costner démontrait une fois de plus qu’il est une forte tête, indifférent aux tendances, aux statistiques et aux logiques de rentabilité. Avec le magnifique premier chapitre de sa saga Horizon, il rappelle qu’il ne se contente pas d’endosser le rôle du cow-boy : il en incarne l’âme même, porté par un amour sincère des grands espaces et d’un cinéma à l’ancienne, empreint de souffle et de noblesse. Un étendard que l’acteur/réalisateur n’a cessé de brandir tout au long de sa carrière, et qui atteignait déjà des sommets de beauté en 2003 avec Open Range, dernier grand western classique (avant Horizon), trop souvent relégué dans l’ombre de Danse avec les loups ou d’Impitoyable.
Dès les premiers plans, face à ce scope que se disputent l’infinité du ciel et l’immensité de la terre, face à ces verts pâturages s’étirant au-delà de l’omniprésente ligne d’horizon, face à ces troupeaux de bétail, ces chevaux sauvages galopant crinière au vent, et ces silhouettes familières juchées sur leurs montures, chapeaux vissés sur la tête, regards perdus dans le lointain… difficile de ne pas songer à tout un pan du cinéma classique américain qui, sur les notes épiques de Michael Kamen, semble ressurgir d’entre les morts, le temps d’une ultime valse, sur les traces d’une Amérique originelle et édénique, aussi réelle que fantasmée, sur les traces d’un vieux mythe entêtant, réceptacle des obsessions et des névroses d’une nation.
Rapidement, la thématique d’Open Range s’impose : les grands espaces contre la ville, la liberté contre l’asservissement par les puissants propriétaires. Le film évoque, comme souvent dans le western, une transition, une frontière — celle de l’Amérique des pionniers, des éleveurs itinérants, d’une liberté absolue, sans clôtures ni limites — une Amérique en forme d’Éden, brutalement confrontée à l’ordre naissant, à la civilisation et à son cortège de cases, de règles et de barrières. C’est la lutte de deux Amériques irréconciliables : celle des campagnes et celle des villes, celle du mythe, des origines, du rêve, face à celle des idéaux dévoyés.
Pour donner corps à son récit et à ses thématiques, Costner recourt pleinement à l’imagerie traditionnelle du western classique. Non content de s'inscrire dans les pas de La Poursuite infernale, Costner adopte les partis pris esthétiques et thématiques établis par John Ford tout en en comprenant le sens. Ainsi, l'attention toute particulière porté aux grands espaces, à la nature ou au ciel chargé d'orage, n'est jamais uniquement cosmétique, elle participe du propos du film. De même, la capacité du réalisateur de Danse avec les loups à façonner des personnages profondément humains, attachants, révélant les failles les plus intimes de leur âme, et partageant des digressions qui renforcent les liens — entre eux comme avec le spectateur — tout en les inscrivant dans une réalité professionnelle, celle d’éleveurs itinérants, propriétaires d’un troupeau dont ils ont la charge, évoque irrésistiblement les plus grands films d’Howard Hawks, La Rivière rouge et Rio Bravo en tête.
L’acteur/réalisateur pousse l’hommage au western classique qu’il chérit jusqu’à adopter le fondu au noir pour clore la plupart de ses séquences — un effet au charme suranné qui participe pleinement à la poésie du film et en accentue la dimension intemporelle.
Dans la lignée du très sous-estimé The Postman, et malgré le désaveu critique et commercial qu’il connut, Costner signe, réaffirme, assume une candeur — voire une naïveté — volontiers désarmante, profondément anachronique. Une naïveté de la foi : foi indéfectible en l’Amérique, en ses valeurs, ses promesses ; foi en la communauté également, qui, comme chez Ford, occupe une place centrale dans l’œuvre de Costner. Les plus cyniques souriront sans doute en le voyant au côté l'excellent Robert Duvall, prendre le thé en compagnie d’Annette Bening, ou devant la déclaration d’amour finale sur un tapis de fleurs ; les autres, comme moi, y verront une pureté presque enfantine, aujourd’hui largement disparue au cinéma. On s’attendrait presque à ce que surgisse le traditionnel : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » pour clore ce magnifique conte de l’Ouest.
En cela, Costner s'inscrit à contre-courant de son époque, en témoigne la tiède réception publique du film. Mais comme s'il ne s'agissait là que d'un avertissement, Costner paiera plus cruellement encore son anachronisme deux décennies plus tard, avec l’échec en salle du sublime Horizon.
Mais Costner est une forte tête. Et même si notre époque ne semble plus encline à la candeur, à l’espoir ou au simple plaisir d’une belle histoire bien racontée, les plus nostalgiques d’entre nous pourront toujours se consoler avec Open Range, petit bijou hors du temps, superbe condensé d’un siècle de western, et fable classique à la beauté ravageuse.