Par rapport au premier épisode, l'époque a changé, mais pas OSS 117. Sans cesse rejeté et presque has-been, Hubert Bonisseur de la Bath s'entête pourtant dans sa lourdeur et sa maladresse enfantine, et est malgré tout toujours sûr de lui au plus haut point.
Ce personnage, candide et naïf, moteur des deux films, permet de travailler en profondeur le jeu de la citation et de la pastiche. En effet, ce qui caractérise à la fois le modèle originel ''OSS 117'' et les références nombreuses du film, c'est qu'ils incarnent une époque de candeur, d'innocence, de premier degré, de "L'homme de Rio" avec Belmondo aux films de catch mexicain des années 60. Cette intertextualité est toujours ici vue avec un œil décalé, voire détourné, au service de satires irrévérencieuses, amenant au grotesque, au loufoque.
Cette "ridiculisation" prend tout son sens quand on s'intéresse au matériau de base de ces films, la série réalisée dans les années 60, à la dimension de témoignage, aussi consternant qu'involontairement comique, sur la société française de la fin de l'ère coloniale. On s'amuse de propos réactionnaires d'OSS 117 comme on s'amuserait d'un vieux film qui aurait été sérieux à l'époque.
Hubert Bonisseur de la Bath, sous le costume impeccable et élégant en alpaga, cache un beauf en marcel, un benêt prétentieux, un grand crétin qui se croit génial, un imbécile heureux, un bellâtre suffisant et primaire, un mufle fat et sentencieux, un ringard passéiste et stupide, un bonimenteur incompétent et arrogant, un bouffon franchouillard et ethnocentré, un présomptueux m'as-tu-vu, infantile, sûr de son sex-appeal et de sa puissance sexuelle, un chauvin poisseux, un don juan d'opérette à l'élégance bourrée de tics désuets et au panache suranné. Il incarne la France gaullienne, celle qui se prendra Mai 68 de plein fouet faute d'en sentir les prémices. Il est un ignare rétrograde, raciste, qui concentre en lui tout ce que les étrangers nous reprochent en général : il est un stéréotype grotesque du Français.
Mais pourtant le film n'est rien de tout ça, attendant du spectateur à la fois qu'il sympathise avec un personnage méprisable et qu'il ait aussi une certaine distance avec lui, qu'il puisse s'en moquer.
Les personnages féminins jouent à ce titre un rôle prépondérant, incarnant la subtilité, la modernité, l'intelligence qui manquent à OSS 117 ; elles permettent donc une certaine identification par le spectateur (parce qu'on préfère en général s'identifier à un personnage élevé, si bas que l'on soit soi-même), qui pourra ainsi d'autant mieux s'amuser du goujat phallocrate qu'est Hubert Bonisseur de la Bath. Elles ne sont ni potiches, ni moralisatrices. Les attributs masculins sont eux ridiculisés : l'assurance débonnaire du héros, voire son arrogance sans raison ; le machisme de sa position accentué par le phallisme de son revolver, qu'il utilise par à-coups.


Outre le jeu volontairement outrancier des acteurs, ce qui permet d'échapper à une lecture du film au premier degré est évidemment la mise en scène, très élaborée, d'une grande précision plastique, audacieuse, aux cadrages sophistiqués, aux codes esthétiques passés pastichés (des images psychédéliques aux split-screens en passant par les décors d'opérette exotiques, les transparences pour les scènes en voiture, le mickey-mousing, les nuits américaines, le Technicolor flamboyant -- accentué par l'utilisation d'une pellicule à la même faible intensité que celle de l'époque).
Il y a ainsi un jeu incessant avec les clichés et frontières du mauvais goût, avec le kitsch, le cynisme. Un doute s'instille en permanence sur la nature du film, qui se situerait entre la moquerie et l'hommage, entre le détournement et le cliché, dans une vision au troisième degré qui réunit finalement le premier comme le second degré.
On n'est donc jamais tout à fait dans le réalisme, le premier degré, dans la croyance spontanée à la vérité des images, au pouvoir narratif du récit. C'est ce qui pousse Hazanavicius à travailler l'humour au deuxième, voire au troisième degré ; le deuxième degré pouvant être compris comme une mise en doute, une ironie par rapport à la ''réalité'' – un œil ''moderne'', cinématographiquement parlant – quand le troisième degré irait lui jusqu'à travailler précisément sur cette distance, sur ce décalage, pour le tirer vers quelque chose de plus intellectuel, de plus référencé, voire vers l'absurde, le non-sense.


Le détournement, arme ultime pour se défendre contre la bêtise du monde ? Il faut se souvenir que le terme « détournement » fut d'abord revendiqué par les situationnistes, en particulier par Debord, technique qu'il appliquait dans des films détournant les clichés de la société de consommation pour y appliquer un discours extrêmement critique (mais aussi ludique) et révélateur de souffrances masquées, par des moyens tels que l'utilisation et la déformation de fragments d'autres œuvres (de toutes valeurs).
De Debord à 'OSS 117', en passant par La Classe Américaine (co-conçue par Michel Hazanavicius), il n'y a qu'un pas...

youli
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le 30 déc. 2011

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youli

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