Paprika
7.6
Paprika

Long-métrage d'animation de Satoshi Kon (2006)

L'épice nécessaire pour un délire onirique.

Avant d’être un film d’animation centré sur le rêve, Paprika était un roman littéraire à succès au Japon écrit par Yasutaka Tsutsui, un auteur qui a également participé au développement et à la mise en forme de cette adaptation entre les mains de Satoshi Kon. Ce dernier, ressortant de son excellent Tokyo Godfather, a rencontré l’auteur du roman 3 ans avant la sortie du film en 2006 et aura passé plus d’un an à peaufiner le script ainsi que les concepts arts et story-boards de cette adaptation.


Il faut attendre Janvier 2005 pour que le scénario, après plusieurs retouches et rajouts d’idées venant du réalisateur, scénariste et producteur japonais, soit terminé et que le doublage commence avant qu’il ne soit présenté à Venise en 2006. Et il en est ressorti un pure OVNI de la Japanimation pour le quatrième et dernier long-métrage animé du défunt Satoshi Kon.


J’avoue avoir une énorme admiration pour le travail effectué par Kon et son équipe sur ce film, car en plus de m’avoir introduit davantage au cinéma d’animation japonais, il m’a permis de découvrir un cinéaste qui a servi de source d’inspiration pour des réalisateurs comme Christopher Nolan et Darren Aronofsky sur certains de leurs films (Inception et Black Swan précisément). Que ça soit le thriller d’épouvante, le drame, la comédie dramatique ou le délire visuel et onirique, chacun de ses films ont beaucoup à offrir. En particulier celui-là que j’ai découvert en premier.


Rien que par la patte graphique Paprika montre l’influence artistique du cinéaste sur chacun de ses films. A commencer par le design des personnages et les expressions faciales associables à ses 3 autres films, et la manière dont il raconte chacune de ses histoires à travers le découpage et le raccord des images avec l’action des personnages qui se suit dans un ordre chronologique mais avec, entre deux actions ou deux événements, un environnement toujours très différent. Un élément qu’il met d’ailleurs au service de chaque thème de ses films, ici le rêve.


L’introduction du film en est une illustration quasi parfaite, en plus d’être hallucinante, de son style de narration. L’inspecteur Konakawa se retrouve tour à tour, aux côtés de Paprika, dans une série d’environnement divers respectant la continuité de ses actions, de cette façon, on passe


d’un cirque à un film de Tarzan, un film James Bond et un film de romance


avant d’introduire clairement l’une des principales sous-intrigue du film, cette introduction permettant d’introduire ces deux personnages à la fois.


D’ailleurs tant qu’à parler des personnages, beaucoup de soin est également apporté ici, chacun étant identifiable et ayant une personnalité bien décrite dés leur exposition. Tokita le scientifique et concepteur de la DC Mini boulimique à la mentalité d’un enfant, Shiwa le président de la compagnie, Osanai qui ne cache pas sa jalousie envers meilleur que lui dans le milieu scientifique ou bien sur l’inspecteur de police Konakawa en mal de soi face à un traumatisme ravivé par son travail de commissaire. Sans oublier un Barman et un serveur doublé dans la version japonaise par Kon et Tsutsui en personne.


Le plus intéressant du lot étant bien sur le personnage de Paprika/Atsuko Chiba qui ne forme qu’une seule et même personne. La première étant une femme exubérante, adorable et pleine de vie idéalisée par la DC Mini en plus d’être un peu un électron libre, et la seconde une femme plus froide, sérieuse et en retenue dans le monde réel que son alter ego. Pas besoin de dire vers qui va ma préférence, surtout si on donne la voix française de Kelly Marot à Paprika dans le doublage français. Ce qui est bien c’est que même si son pouvoir est large, Kon ne le pousse jamais trop loin pour autant et garde une juste mesure dans sa manière d’exploiter cette entité idyllique (cela dit, quand tu peux te transformer en marraine la bonne fée, Pinocchio, en Jane, en James Bond Girl et en n’importe quoi dans les rêves d’autrui, tu ramènes pas trop ta fraise face à elle).


Pour revenir au style de montage et de découpage des scènes de Satoshi Kon, le travail d’animation joue un grand rôle dans la mise en scène. Que ça soit le monde réel ou le monde des rêves, c’est extrêmement abouti tant en terme de graphisme avec l’animation Tri Digital mêlant l’animation traditionnelle avec des effets 3D, comme la scène du tapis rouge ondulant sur lequel court Konakawa à plusieurs reprises dans ses rêves. Beaucoup de détail sont très soignés à l’écran afin de rendre plus vaste et infini le monde des songes. L’introduction, la parade des rêves, la course-poursuite avec Paprika, chaque séquence est plus mémorable l’une que l’autre, un vrai festival visuel et déchanté qui ne s’impose aucune barrière.


Et surtout, Paprika joue beaucoup sur les couleurs et les éclairages : dans le monde des rêves, elles sont très éclatantes et très vives afin de renforcer le sentiment de surréalisme lors des séquences se déroulant dans un songe. Alors que dans le monde réel, elles sont plus banales et monotone, le visage des personnages étant un peu plus pâlot ou moins étincelant comme pour Chiba et Tokita.


Même lorsque les deux mondes s’entrecroisent, il y a toujours une différence faite entre les personnages à ce niveau ainsi qu’avec les décors et les objets. C’est très minutieux. La musique de Susumu Hirasawa aussi joue beaucoup sur l’ambiance de Paprika, puisqu’elle est très synthétique au niveau de l’instrumentation y compris pour les chœurs lors des deux thèmes principaux du film qui reviennent souvent.


Grâce à tout cela, Paprika assume pleinement son délire d’étrangeté onirique et son contrat de divertissement malgré une ou deux ficelles scénaristiques limpide comme la débilité exaspérante de Joffrey Baratheon dans Game of Thrones


(Comment Konakawa a pu s’échapper de la parade qui avait pénétré son rêve ??? Même si le PDG et Osanai ne l’avait pas rencontré auparavant, ils auraient dû le supprimer pour ne laisser aucune trace d’eux ???),


mais en plus toute la bizarrerie qui en ressort apporte une réflexion qui est la bienvenue sur la lucidité du rêve et l’influence qu’elles peuvent avoir sur les intéressé : sachant quel a DC Mini est un appareil destiné à soigner les maladies mentaux et les troubles psychiques.


Konakawa et Atsuko Chiba sont ceux qui illustrent le mieux ce propos : le premier


devant enfin tourner la page sur la mort d’un ami avec qui il partageait une passion commune pour le cinéma


et Chiba qui n’arrive plus à faire le moindre rêve depuis longtemps et ayant développé la DC Mini avec Tokita afin de pouvoir découvrir ceux des futurs patients grâce à ce système. Et c’est là que le personnage de Paprika joue son rôle, en tant que thérapeute chez Konakawa et de double chez Chiba qui lui apportera plus d’aide qu’elle ne l’imagine.


Puisque la qualité est aussi apportée avec l’écriture des relations entretenues entre les protagonistes, tous crédible même ceux en retrait.


Paprika a eu un très bon succès critique, mais ce fut le dernier film de la carrière de Satoshi Kon puisqu’il mourut quelques années après. Ce qui me peine vu que, que ça soit pour le rêve ici, l’épouvante dans Perfect Blue, la comédie dramatique dans Tokyo Godfather ou le cinéma et l’histoire dans Millennium Actress, Satoshi Kon aura toujours apporté quelque chose avec ses propres ingrédients, notamment en tant qu’auteur. Et pour tout ça monsieur Kon : vous étiez un homme bien.

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9
5

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