C’est un cliché dont on peine à se lasser : l’histoire du héros à priori sain d’esprit se retrouvant interné dans un asile psychiatrique, puis tombant dans un engrenage où se mêlent (ir)réalité et confusion. Forcément, voir Steven Soderbergh arbitrer ce type d’histoire est une nouvelle des plus réjouissantes, connaissant les penchants du cinéaste pour la paranoïa et l’oppressement. Petite expérimentation clinique, « Paranoïa » dispose, notamment, de l’originalité d’avoir été intégralement filmé avec l’iPhone. Et, en bon formaliste, Soderbergh n’hésite pas à tirer profit de ce parti pris technique. Certes, le rendu cinématographique n’est guère bluffant, mais le réalisateur s’offre, ainsi, la liberté de cadrer son film avec des angles se ménageant d’une relative étrangeté. Ainsi, c’est indéniable, « Paranoïa » est un film visuellement extrêmement saccadé, se dévoilant à la manière d’un survival hospitalier des plus insolites.
Signant une décharge par erreur, Sawyer est donc retenue dans un hôpital psychiatrique, et son infirmier n’est autre que son harceleur. Ainsi émergent des questions : est-ce une hallucination ? Un sosie ? Ce ne sont pas des questions que se pose le film, mais le spectateur, sachant d’emblée que Sawyer souffre de paranoïa. Ainsi, Soderbergh nous laisse insidieusement entrer dans l’esprit de son héroïne tout en captant une immersion quasi documentaire, à travers laquelle nous explorons la peur de l’insécurité. Et en resserrant le cadre, Soderbergh ne tarde pas à instaurer à ce semi huis-clos une atmosphère anxiogène, mettant en place un véritable cahin-caha où s’entremêlent la vastitude de l’écriture, et la modestie de l’image. Car s’il ressemble à un thriller psychotique somme toute classique, « Paranoïa » se targue également d’une réflexion sur les émotions, et plus simplement sur les relations humaines, justement, à l’ère de l’iPhone ; tout en s’affirmant dans la continuité de la filmographie de son réalisateur, continuant ses incursions dans les failles du système médical (après « Contagion » et « Side Effect »).
À chaque instant, nous soupçonnons le film d’essayer de nous mener en bateau. Et à la fin, nous sommes presque à deux doigts de nous demander si c’est le cas, ou finalement, si tout ici n’était que limpidité. Si Steven Soderbergh se plait à l’exercice de style, il semble toutefois avoir pleinement conscience qu’il peut, avec ce sujet, découler toute sa malignité, et son efficacité redoutable. Brouillant les repères entre imaginaire, réel, et psychose, « Paranoïa » recèle de plusieurs possibilités d’approche. D’ailleurs, dans les dessous de ses traits d’esprit, le film n’aborde pas seulement la paranoïa, mais aussi (et surtout) l’érotomanie, qui se définirait comme une manière déraisonnable d’aimer une personne, ou plutôt « l’illusion délirante d’être aimé ». C’est alors que « Paranoïa » entre, littéralement, dans une psychose passionnelle où les fantasmes veulent collaborer avec la réalité. S’agirait-il donc d’un drame d’amour fou ? Au regard de la relation faite d’amour et de haine qu’il développe entre Sawyer et son infirmier stalker, « Paranoïa » aurait même mieux fait de s’appeler « Érotomanie ». Mais qui serait aller voir un film avec un tel titre ? Au fond, ici, la seule chose que l’on pourrait qualifier comme étant paranoïaque, c’est l’amour fou, voire aveugle. Comme c’est mignon, la paranoïa.
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