Le mid-west américain, des couleurs surannées rappelant une photographie argentique, de longs travelling de dos, l'apathie adolescente, l'importance des visages, la représentation d'une sous-culture, le refus de la romantisation... pas de doute, Paranoid Park est bien un film de Gus Van Sant.


Alex est un adolescent classique, peut-être doté d'une bonne ration de lucidité en plus que la moyenne, mais classique néanmoins. Évoluant dans un cadre familial compliqué sans vraiment l'être, il a une petite copine dont il n'est pas vraiment sur d'être amoureux, et une bande d'amis pas toujours tendres avec lui.
Surtout Alex a une passion dévorante ; le skate-board qui sera la thématique choisie par Van Sant pour développer son propos, même si finalement cette dernière n'est qu'accessoire. Le skate matérialise le désir d'évasion, de mouvement et de liberté qui caractérise Alex, assez détaché et déconnecté de son quotidien banal et ennuyeux. Toutes les scènes liées au skate seront un moyen idéal pour poser un contraste avec l'acte beaucoup plus sombre auquel Alex est confronté.


Ce qui fait de Paranoid Park un film si réussi, c'est d'abord l'immersion que propose Van Sant dans son récit ; en filmant à la première personne (plans rapprochés d'Alex, utilisation du flou pour mettre une distance avec les parents du héros), Van Sant nous permet de rentrer dans cet univers. À la façon de Jarmusch, le réalisateur n'éxagérera aucune émotion et ne mettra rien en oeuvre pour édulcorer le récit. Van Sant, comme dans Elephant, filme l'adolescence, cette lente mutation en dent de scie de l'enfant vers l'Homme. Ses hésitations, ses peines, ses désillusions, mais surtout sa monotonie. La bande-son très douce (mention spéciale au génial Eliott Smith) est à ce titre très juste dans la représentation de cette idée.


En outre, la galerie de personnages est très crédible est agréable, ce qui devrait décourager le spectateur à la recherche d'un teen-movie. Pas de pimbêches ou de loosers clichés dans ce métrage, mais de vrais adolescents, aux centres d'intérêts usuels.
En ce sens, soulignons l'excellent jeu d'acteur de Gabe Nevins qui seulement avec son regard permet au spectateur de capter son ressenti.
Encore comme dans Elephant, dont la comparaison est pertinente puisque Van Sant a pensé ces films comme partie d'une tétralogie, Van Sant va utiliser le drame comme élément déclencheur du récit, pour matérialiser le basculement du quotidien, de la sérénité au cahos.
Les scènes de Alex avec sa petite amie Jennifer, surprenante Taylor Momsen sont ainsi capitales ; elles témoignent de la mise en péril de ces moments naïfs, de cette initiation aux sentiments, à l'exploration des corps et des émotions. Le choc est inévitable, et ce malgré la sobriété de la mise en scène de Van Sant puisque le soin apporté à la construction du monde si normal d'Alex fait l'effet d'une collision avec cet acte si terrible ; et c'est là toute la force de Paranoid Park. Comment l'être en construction peut-il se relever d'un évènement si destructeur ? Qu'attendre de celui qui veut trouver sa place lorsqu'il risque déjà de la perdre ?


Comme dans Elephant toujours, Van Sant posera une question sans proposer de réponse. Merci à ce dernier de laisser en suspens cette interrogation et de s'éloigner des attentes de la narration pour se concentrer sur le descriptif d'un état d'esprit. Notons aussi l'immense beauté de cette photographie douce, brumeuse, presque évanescente, avec ces sujets toujours en mouvement et toujours fragiles : le vent dans les cheveux d'Alex, les rotations du skate, le bal des feuilles mortes bercent le récit et le spectateur dans cet étrange film si poignant.
Merci au cinéma indépendant de filmer le vrai.

ldonkeyboy
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le 6 juil. 2021

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