Passions juvéniles est un film à glacer le sang. Pourtant, le titre et l'affiche semblent le vendre comme une romance adolescente, pleine de légèreté. Controversé à sa sortie, on comprendra vite pourquoi : le long-métrage est une description extrêmement froide de la jeunesse japonaise des années 50, ayant participé au lancement du mini-courant "taiyozoku" (clan du soleil) qui regroupe les films mettant en scène des jeunes libérés de toute pressions sociales, les "enfants du soleil".


Finalement, tout est contenu dans ce plan qui sert de fond au générique d'ouverture. Un jeune homme sur un bateau à moteur, en sueur, perdu, cherchant quelque chose du regard, quelque chose à quoi se raccrocher. Un long zoom s'approche de ses yeux apeurés, accompagné par une musique jazzy hystérique (qui sera présente plusieurs fois dans le film) semblant suggérer une folie croissante. Enfin, on s'engouffre dans un fondu au noir : nous plongerons autant dans la psyché de ce jeune que dans son passé.


Car Passion Juvéniles commence justement comme un portrait très critique de la jeunesse japonaise : aliénée, comblant l'ennui comme elle peut, elle se trouve sous le regard méprisant des adultes qui ne font pas grand chose pour arranger la situation. Car ces adultes, très peu présents dans le film, n'ont guère le beau rôle : entre un bourgeois américain offrant le luxe à une jeune fille japonaise en échange d'un mariage, des parents totalement absents et des passants médisants et stupides, tout le monde en prend pour son grade. Puis, arrive le personnage d'Eri.


Dès lors, le film bascule dans un triangle amoureux (deux frères convoitant cette fille mariée au bourgeois américain cité plus haut) à l'érotisme fascinant. Fascinant, car toujours suggéré. Une main sur des seins par-ci, un suçage de doigt par-là, l'érotisme est constamment sous-jacent, et que ce soit par peur d'une quelconque censure ne change rien : il s'en dégage un côté transgressif qui aurait peut-être été atténué si le film avait été plus frontal. La mise en scène redouble d'inventivité et fait preuve d'une modernité assez impressionnante : on pense à Monika (Bergman) pour certains gros plans et travelling, et à la future nouvelle vague française pour l'audace du montage (il n'est pas anecdotique de savoir que Truffaut avait d'ailleurs beaucoup apprécié le film).


Enfin, la dernière partie, éprouvante car traînant en longueur, clôt de manière extrêmement froide le long-métrage. On sait d'avance ce qui va arriver, mais Nakahira met le spectateur dans une attente interminable, qui ne fait que renforcer cette violence, finalement bien plus symbolique que visuelle. Car l'acte ne laisse aucun doute : la jeunesse japonaise des années 50 est condamnée, perdue dans une spirale descendante.


PS : si le cinéma japonais vous intéresse, vous pouvez venir piocher dans ma liste https://www.senscritique.com/liste/Les_oublies_du_cinema_japonais/1704611

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le 30 août 2017

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