Quelle difficulté de juger ce film tant il existe un grand écart entre la finesse surprenante de son "âme" et sa balourderie généralisée sur un plan plus concret. En effet, Persona non grata, après son introduction étrange sur du Cabrel, commence par inquiéter : on se croirait en face de ce type bizarre de films en France qui consiste à proposer des décors grisâtres, des acteurs qui tirent la gueule/inexpressifs comme des êtres désincarnés et qui susurrent des dialogues qui ne mènent nulle part avec des intentions mystérieuses (être "cool" ? être """réaliste""" ? Mystère, en tous cas ce genre de purges sortent régulièrement sur les chaînes publiques voire TF1 et parfois au cinéma). Pourtant, on sent malgré tout que le film va nous proposer quelque chose de différent cette fois, ne serait-ce que par la présence de Nicolas Duvauchelle que je n'ai vu pour l'instant (bon ok je n'ai vu que quatre films, lui inclus) jouer que des personnages plus ambivalents qu'ils ne paraissent (enfin, pardon, jour LE personnage qu'il se trimballe depuis des années, très jeune adulte dans Snowboarders - film mystique - en passant par trentenaire dans "Je ne suis pas un salaud" pour finir en quarantenaire anémique ici) et qui me rappellent un peu moi à mon plus grand effroi…


Et en effet, cette intuition n'a pas loupé même si elle ne mène pas vraiment aux autres critiques que j'ai pu lire. En effet, au delà de la certaine critique sociétale qui est à mon avis dans ce film (peut-être pas dans l'original, celui-ci étant une adaptation apparemment) finalement plus un axiome fondateur qu'un message/une position qu'il porte, le raffinement insoupçonné du film se trouve plutôt dans les parallèles graphiques et conceptuels entre les individus, trois hommes dont la faiblesse partagée sera incarnée par une femme. Cette "faiblesse" sera néanmoins déclinée sur trois personnages aux préoccupations personnelles bien différentes : l'un embarqué dans une vie comme un train sans s'être posé de question, suivant ce qu'on lui disait, l'autre petit enfant apeuré qui a besoin d'amour s'étant transformé en salaud sous l'impulsion d'une femme-mère venimeuse, le dernier parasite roublard assumant son égoïsme mais paradoxalement bienfaiteur sociétal des opprimés et non motivé par l'argent (bon pour lui j'exagère). A la lecture de ceci, vous allez vous dire que les personnages sont unilatéraux...eh bien pas du tout car au delà des types qu'ils représentent, leur jeu est très humain et crédible, surtout Nicolas Duvauchelle en jeune idéaliste désabusé et donc balloté par la vie qui brise ses illusions et espoirs. Malheureusement, j'ai l'impression que son "ami" (apparemment ils le sont même si ça ne se voit pas beaucoup…) ne vit qu'à travers lui, ce qui en fait un personnage plus fade et creux sauf à la fin. Mais là encore, il existe davantage comme miroir. Enfin, le "méchant" est également un mélange intéressant entre un archétype de salaud décomplexé et un justicier ambivalent et mystérieux (car au fond ses décisions fascinent par leur irrégularité). Enfin, le parallèle entre les personnages s'incarne également dans le titre : les trois sont à leur manière une incarnation de celui-ci, l'un issu d'un milieu pauvre, l'autre écarté par son patron malgré sa naissance "prestigieuse" (grande famille de notables, éduquée) et ses idées, l'autre tout simplement un marginal dans le banditisme qui s'invite dans l'entreprise du bâtiment dont il


a assassiné le patron à la demande du deuxième


Au delà des personnages pris séparément, Persona non grata est également construit sur une petite phrase lancée dans le premier tiers du film et qui reprend la foi millénaire dans le fait que tout se paie et que celui qui veut s'arroger son destin, notamment par hybris, finit par le payer. Frustrés, convaincus qu'ils valaient mieux, qu'ils n'avaient pas la reconnaissance qu'ils méritaient (pour l'un, l'autre a suivi), deux amis dépassent la limite et se retrouve avec leur péché sur les bras, péché incarné par Roschdy Zem, prenant également bizarrement le rôle de bras vengeur de l'univers malgré son statut de voyou (au risque de me répéter, ce personnage reste ambivalent dans ses discours, se rapprochant de l'archétype du "Chevalier noir"). Ce péché va inévitablement les ronger jusqu'à la conclusion logique et attendue de ce type de films dont on pourra arguer qu'il repose sur des ficelles un peu énormes mais bel et bien au service de la peinture que dresse le film.


Pour autant, malgré ce regard bienveillant que je porte sur ce film, il est difficile d'expliquer tous ses trous, à commencer par les liens incompréhensibles et flous de bien des intervenants avec les autres, la faute à une absence d'interactions réelles entre eux et ce même si j'avais envie de croire que c'était fait exprès (je ne vois pas pourquoi cela le serait mais je suis avide de lire uen interprétation si elle existe) ; difficile en même temps de tout faire rentrer en une heure trente dans un film déjà bien chargé. De même, comme je le disais au début, le film au premier degré fait assez "balourd", je ne sais pas comment l'expliquer, c'est une impression étrange de voir un mauvais téléfilm mixé à une peinture très fine, un peu comme quand tu vois un mec qui a une dégaine de paysan jamais sorti de son village puis qui te surprend par un anglais parfait, des plats fin, ou toute autre caractéristique inattendue. Disons qu'il manque de vraie cohésion d'ensemble, un tableau très fin étant perdu dans un film qui fuit de partout avec des acteurs (actrices en fait) un peu déprimantes. Le style grisâtre/hors de la vraie vie reste toujours étrange mais bizarrement ce beau bordel arrive à être captivant voire saisissant.


Ainsi, Persona non grata est un peu ce type d'apparence lourdaude qui révèle des qualités d'esprit insoupçonnées, une sorte de parabole sur le péché de celui qui veut s'arroger son destin aux dépends de l'harmonie universelle portée par trois alter ego improbables partageant une faiblesse commune, inversant les rôles des anges et démons proclamés, et étant tous des incarnations du titre. Un film d'ambiance assez fin et humain donc pour les amateurs d'illustrations plutôt que de récits linéaires, parfaitement "logiques" et cadrés (assistés je dirais, désolé j'avais envie de lâcher un petit troll - pour continuer sur cette lancée d'ailleurs, n'y allez pas non plus si vous n'aimez pas Jeep car on dirait que c'est le seul sponsor qui va jusqu'à prouver que sa voiture résiste parfaitement aux chocs ; enfin, ne loupez pas l'instant mythique de ce film, le


rap du "gitan"


absolument mythique ... !).


PS : la bande-annonce est parfaitement représentative du film, même si le sujet de la construction immobilière est complètement marginale dans le film, donc vous savez déjà si ça va vous plaire ou pas :)

Foulcher
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le 27 juil. 2019

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Foulcher

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