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Difficile d’appréhender ce que l’on va regarder lorsqu’on lance une oeuvre de Isao Takahata, tant le cinéaste livre des films atypiques (tant dans le fond que dans la forme) au sein de Ghibli et de sa propre filmographie. Mais dire que je ne m’attendais pas à ce que j’ai vu en lançant Pompoko, cela relèverait de l’euphémisme.
Le métrage est un pamphlet écologique résolument pessimiste, où les tanukis, ou chiens viverrins dans la langue de Molière, se voient expropriés par le développement d’une nouvelle banlieue de Tokyo et décident de partir en guerre. Leur arme? Le pouvoir de la métamorphose légué de génération en génération. Le tanuki est une sorte de body snatcher des bois, la société de ces animaux étant un reflet de celle des humains: on s’abandonne à un confort préjudiciable à la réussite de nos entreprises, la jeunesse se rebelle contre les interdits des aînées tout en étant plus fougueuse et alerte quant aux dangers représentés par l’expansion humaine, et les vieux reçoivent le respect qui leur est dû. Dans la lutte, deux camps se forment : ceux plus pacifistes, usant de leur pouvoir pour effrayer les hommes, et ceux plus belligérants, désirant tuer leurs ennemis sans concession. Un bipartisme qui accompagne tout le film, et qui donnerait presque raison au second camp, tant le final,
en crève-cœur, dépeint la défaite des tanukis forcés à s’assimiler aux humains. Une défaite pour la nature, piétinée par la croissance à tout prix, une victoire pour l’uniformisation des individus dans un moule imposé, d’autant plus résonnante quand on connaît le peu de place laissée à l’individualité au Japon.
Japon qui est d’ailleurs mis à l’honneur dans toute sa culture traditionnelle, notamment via la scène centrale du défilé nocturne, où yōkais en tout genre se côtoient, multipliant les références que le spectateur occidental aura bien du mal à rattacher à des symboles qui lui échappent. Et comment ne pas mentionner le plus gros morceau du film : les testicules de tanuki. Alors que le vieux sage du clan fait la leçon de métamorphose à ses ouailles sur ce qui paraît être une nappe de pique-nique, le voilà qui leur sort : “Vous savez ce que c’est ça (désignant la nappe)? C’est mes deux! C’est mes roustons!” (véritables sous-titres du bluray). Car oui, les boules des bestiaux seront mises à l’honneur durant tout le film, étant la partie la plus extensible et la plus propice à des transformations en tous genres. Si cela permet un humour volontairement grivois, c’est également un autre élément important dans le folklore japonais, et ce depuis le 10ème siècle où l’on retrouve déjà des peintures de la chose (Voici une petite galerie, rien que pour le plaisir ). Les burnes de viverrins sont l’équivalent de sacs d’or dans la mythologie nippone, ou tout simplement des bijoux de famille, et toutes les dérives allégoriques que cela peut engendrer (j’ai fait mes recherches, mais elles sont bien synthétisées dans cet article). Un symbole de prospérité donc. De là à dire que la plus grande force de leur société, c’est leur fric, il n’y a qu’un pas que je vous laisse faire par vous-même.
Outre ces nombreuses références pas anodines pour un sou, Pompoko a un aspect quasi documentaire, avec l’usage d’une narration en voix-off objective, et des ellipses permettant de voir l’évolution de la région au fil des années. Même le titre original rappelle un chapitre de l’Histoire : Pompoko, la grande guerre des tanukis de l’ère Heisei (l’ère Heisei, ou “accomplissement de la paix”, étant la période de trente ans de règne de l’empereur Akihito démarrant en 1989 et s’achevant en 2019).
Pompoko est une œuvre hybride et singulière, où se côtoient comédie et tragédie et où la forme est toujours au service du fond. Il y a bien quelques longueurs sur les deux heures qu’il propose, mais le film est si original qu’on passe volontiers outre pour mieux se régaler de cette fable dépressive.