Il est un plan qui, à lui seul, pourrait condenser ce qui fait le potentiel, si ce n'est le propos du film : lors d'une séquence centrale (ainsi que pivot dramatique), un traveling épouse le regard de Marianne pour révéler la silhouette d'Héloïse entre des rochers dans une posture d'attente, regardant la peintre et — par extension — le spectateur. C'est dans la tension induite entre ces échanges de regards que s'installe le désir, qui se communique précisément dans et par l'absence de paroles. Le film lui même est ainsi construit autour d'une complémentarité du regardé et du regardant ; les postures de peintres et modèles se révèlent secondaires, ainsi que l'histoire du tableau : car c'est la peinture d'une relation, et donc d'un désir que fait Céline Sciamma.
La tension de la scène est cependant neutralisée par le baiser qui suit ; l'édifice que la réalisatrice avait jusqu'ici pris le temps d'établir s'effondre dans la seconde partie du film, alors consacré à sa dépense pure et simple. Les non-dits cèdent place au bavardage (l'insupportable scène des "Je me souviens"), et l’œuvre en perd en un même temps sa direction. La présence du symbolisme, tandis qu'il mêlait dans la première partie l'usage conjugué du fantastique et de la sensualité comme une manifestation parmi d'autres du désir hors du parlé (la scène du feu en est l'exemple le plus éloquent), est ensuite relégué au rang du commentaire (la scène où le miroir servant à l'autoportrait de la "peintre" est placé sur le sexe du "modèle") ou même comme simple effet d'anticipation de la séparation (les trop nombreuses apparitions du spectre) dans une trame qui n'est pourtant pas à deviner.
Ce n'est pourtant pas d'un propos que manque l’œuvre : l'évocation et le commentaire du mythe d'Orphée et d'Eurydice sont en cela assez éloquents : ils participent en un sens à la faire évoluer dans la continuité du discours mythologique, celui de la relation entre le désir et le regard, entre autres par l'intermédiaire de la peinture (on notera la dernière évocation dans le tableau de l'exposition, comme interprétation renouvelée du mythe, et sans doute reflet du film) ; ils contribuent également à mettre en lumière le paradoxe que constitue l'argument central du film : si le regard permet de saisir (mettre en image / posséder), il est aussi moteur de la perte : l'achèvement du tableau marque fatalement la fin de la relation, tout autant qu'il en constitue le cadre (c'est lui qui également provoque la rencontre) ; mais c'est par la prise de conscience (ou confirmation) du désir commun que la séparation puise sa tangibilité.