!!! ATTENTION SPOIL !!!


Je ne vais pas commenter les qualités du films de Denis Villeneuve, ma note parle d'elle-même. Mais je vais tenter de résumer ici quelques-unes des interprétations que l'on peut avoir après le visionnage.


Vous l'aurez compris, tout tourne autour de notre relation au langage et au temps dans ce film. Des indices flagrants mettent régulièrement le spectateur sur la piste : le prénom de la fille de l'héroïne, HANNAH est un palindrome, on peut donc le lire à l'endroit et à l'envers : exactement comme le scénario du film. Car il faut bien comprendre qu'à partir du twist final, tout ce qu'on a pris pour des souvenirs de l'héroïne est en fait son futur. Par conséquent, il apparaît évident à la fin que ce n'était pas un prénom "prédestiné" ou un clin d’œil fait au spectateur, mais bel et bien l’héroïne qui - dans le futur - a décidé de l'appeler comme ça suite à ce premier contact avec les aliens. C'est "le cadeau" fait par ces aliens à l'humanité, c'est à dire un certain type de savoir permettant de repenser le temps de manière cyclique, qui a permis à cette héroïne de connaître ce futur. Ce savoir, comme tout type de savoir, était donc déjà présent en nous, comme potentialité scientifique : comme nous avons réussi à domestiquer l'électricité, il ne nous manquait qu'une certaine forme de technique pour réussir à "lire" l'avenir. Je ne vois donc rien de mystique ou de fataliste dans toutes ces prémonitions qui s'imposent à l'héroïne : il ne s'agit que de la conséquence logique de ce scénario qui place le temps comme un outil à savoir manier. Exactement comme l'outil qu'est le langage, dans l'hypothèse de Sapir-Whorf, conditionne la pensée, il est logique que ce nouveau savoir scientifique délivré par les aliens permette aux humains, de l'héroïne au général chinois, de penser autrement, de manière non linéaire.


Mais on peut se demander pourquoi, alors qu'elle sait qu'elle va perdre son enfant d'une maladie rare, elle décide finalement de le garder, sans rien révéler à son futur compagnon. Qui plus est, elle sait que c'est à cause de cette décision de lui cacher cette vérité qu'il la quittera, probablement terrassé par la douleur et cette décision apparemment égoïste d'avoir un enfant à tout prix. On peut donc en rester là et se dire que l'instinct maternel a été le plus fort, que l'héroïne a préféré souffrir et enfanter que modifier quoi que ce soit à ce qu'on peut interpréter comme étant son "destin".


Mais je pense qu'en rester là ne suffit pas. Je pense que cette héroïne est bien plus rationnelle et altruiste que ça, tout le film le montre. Et la clef du mystère est l'apparent paradoxe temporel de la future rencontre de l'héroïne avec le général chinois. Donc, d'après moi, elle a compris que si elle changeait une seule chose à son avenir, elle ne rencontrerait pas le général chinois, qui ne lui rappellerai pas son numéro de téléphone personnel, et donc cela modifierait probablement le destin de l'humanité. Elle fait donc le sacrifice d'accepter de vivre pleinement la conception de cet enfant, le départ de son mari, puis la maladie et la perte de son enfant. Je pense qu'en fait, en lieu et place d'un être passionnel et égoïste, comme son mari hélas le verra, nous avons affaire à quelqu'un d'incroyablement rationnel et altruiste, qui, à cause du fardeau qu'elle porte, pense qu'elle ne peut expliquer son interprétation des événements au risque de condamner l'humanité. Vous l'aurez compris, là où il y a du martyr, du portage de croix, et du sacrifice pour l'humanité, Jésus Christ n'est pas loin. Mais la portée du film va bien au-delà, et nous interroge je pense sur notre rapport au temps, au destin, aux conséquences de nos actes, c'est à dire à la notion de karma bouddhiste, et par conséquent à une certaine spiritualité.


On pourrait aussi se dire que les 12 vaisseaux représentent 12 heures ou 12 mois, et que donc il y a quelque chose à voir avec les conceptions humaines du temps. Bon OK, d'après wiki, il y a 25 fuseaux horaires militaires, et une quarantaine qui est concrètement utilisée dans le monde. Mais la théorie de la symbolique de ce nombre 12 pour l'humanité reste très intéressante.


On pourrait aussi se dire que le dénouement, où le destin de l'humanité peut basculer sur un coup de fil, est un peu trop léger, mais ce serait ignorer que des décisions historiques essentielles se sont jouées sur d'infimes détails, et que c'est pour cette raison même que pendant la guerre froide le téléphone rouge reliait directement Washington à Moscou : pas d'intermédiaires, une communication directe et franche entre deux responsables décisionnaires. Exactement comme l'héroïne et les aliens.


En fait ce scénario plus ou moins minimaliste me rappelle un épisode de la série "Au-delà du réel" ("the Outer Limits" en anglais) qui m'avait beaucoup marqué : il s'agit de l'épisode 9 de la saison 2, intitulé L'épreuve par le Feu" ("Trial by Fire"). Il y était également question de rencontre avec les aliens et de difficulté d’interprétation de leurs intentions. Simple en apparence, mais l'épisode était tellement bien écrit, que jusqu'au bout un terrible suspense binaire pouvait faire basculer l'épisode, d'un instant à l'autre, entre "ils veulent notre peau" et "ils sont pacifiques".


Je pense qu'il y a encore beaucoup de choses à décortiquer dans "Premier Contact", et c'est la marque des grands films.


Bref, Denis Villeneuve a pour moi renouvelé le gros kif qu'était Sicario : à savoir un film à l'ambiance moite, au propos relativement réaliste, à l'esthétique léchée sans être prétentieuse et dont le dénouement pose un maximum de questionnements au cœur desquels l'esprit du spectateur aime à se perdre.


"QUAND ON A ENTENDU DU MOZART, LE SILENCE QUI SUIT EST ENCORE DU MOZART." SACHA GUITRY

Sebart
10
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Créée

le 12 déc. 2016

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Sebart

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