Au premier abord, « Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?» avait tout pour me déplaire, en parvenant du même coup le rare exploit d’à la fois faire crier mes yeux et pleurer mes oreilles. Ne voulant pas faire gonfler davantage les statistiques du film, je m’étais d’ailleurs refusée à le voir jusqu’à récemment, écoutant de fait mes yeux qui n’avaient été séduits ni par l’affiche, ni par la bande-annonce.


Je me souviens d’une réflexion que j’avais formulée à sa sortie, à propos du titre contenant cette maladresse grammaticale qu’est le « qu’est-ce-que », maladresse d’autant plus horripilante qu’elle est de plus en plus courante : « qu’a-t-on fait au Bon Dieu ? » (ou encore mieux « qu’avons-nous fait au Bon Dieu » -mais n’en demandons pas trop) eût été un titre plus court et efficace, et aurait eu de surcroît l’avantage de montrer l’exemple aux millions de français venus voir le film, ainsi qu’aux quelques millions d’autres qui en parleraient. Contrairement à « Omar m’a tuer » qui était un titre ouvertement erroné, et intelligent puisqu’il servait le propos du film, « Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?» était plus insidieux car l’erreur était plus subtile, et ne servait aucun propos ; la seule excuse qu’on aurait pu lui attribuer, à savoir « justement, ce titre se veut à l’image du film, une parodie des erreurs commises par les Français », me semblait une excuse bien faible.


Pourtant, à l’issue de mon visionnage tardif, je réalise que ce titre est au contraire excellemment choisi, puisqu’il constitue malgré lui la vitrine idéale et non mensongère d’un produit frelaté nuisible à l’intérêt commun. En effet, l’idée est là, mais elle est mal exprimée, ou en tout cas sous des dehors maladroits. De même que l’erreur contenue dans le titre (ou dès le titre, devrais-je dire), le film a une dimension populaire aussi large qu’inexplicable, puisque des millions de français ont commis la faute de faire le déplacement jusqu’au cinéma pour le voir, de payer une dizaine d’euros pour donner crédit à un film qui montre le mauvais exemple, contribuant à lui offrir du même coup une publicité non souhaitable.


Cinématographiquement parlant, « Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?» est autant un échec qu’il a été un succès au box-office. La forme prise par le long-métrage nuit à son fond, desservant un propos certes discutable (le message sous-jacent étant « unis dans le racisme »), mais non dépourvu de bonnes intentions (dénoncer le racisme en le tournant en dérision, pari audacieux et ma foi pas inintéressant). Cet échec est principalement dû aux codes empruntés à l’univers de la télévision, car il s’agit presque d’un téléfilm sur grand écran. L’esthétique publicitaire est particulièrement flagrante; c’est-à-dire que les séquences avancent sur le mode de la saynète en nous présentant des personnages plus monolithiques les uns que les autres.
Une des forces du cinéma est de déjouer les stéréotypes en construisant des caractères suffisamment étoffés pour leur offrir la possibilité d’évoluer au sein du film. Dans « Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?», les personnages sont autant développés en 1h37 de film que le sont ceux d’une publicité de 45 secondes. Tout est pris sous le prisme des stéréotypes, ce qui induit que les personnages ne sont rien en dehors de leur identité religieuse, ils ne dialoguent qu’avec les clichés culturels dont ils sont les échos : chacun est à sa place et n’en bougera pas.


Le fond, de même, est très bancal. On pourrait ergoter que parodier les préjugés culturels est l’un des partis pris du film, que cela est donc difficilement reprochable ; cependant, ce qui n’est pas un problème en soi devient problématique pour un film qui se veut une comédie. Comme le dit très justement Tina Fey “You can tell how smart people are by what they laugh at”. En 2015, voulons-nous être de ces personnes qui rient encore de blagues putassièrement racistes ? Voulons-nous que le rire-ensemble se fasse au détriment du respect de l’autre ? Contrairement aux films comme Rabbi Jacob qui ridiculisaient le racisme en le présentant comme une minorité presque anachronique, « Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?» décrit le racisme comme une norme, sinon un socle d’identification commune : on rit davantage avec les racistes que des racistes, en somme.
Par ailleurs vendu comme une fable sur la tolérance et le partage, le film ne montre que l’immigration choisie et prône une acceptation de l’altérité rendue possible sous la seule condition que l’autre accepte de se détruire pour devenir le même que nous; le message est ainsi le suivant: « il faut que la culture étrangère s’annihile en se francisant pour que je l’accepte, et je ne tolère donc l’autre qu’en tant qu’il devienne mon semblable ». Mettre en scène le vivre-ensemble par la destruction de l’identité est aussi abscons que la moralité bancale « les racistes s’annulent entre eux ».


Cependant, si j’évoquais tout à l’heure une richesse cinématographique faible, il me semble que juger ce film avec un œil cinéphile est presque déplacé, car il ne s’agit pas d’exiger de lui ce qu’il n’a aucune vocation à être. Evaluer avec une condescendance critique un film qui se vit comme un simple divertissement, serait un écueil non souhaitable. En ce sens, le film est « intouchable », le genre de films pour lesquels il n’y a « rien à déclarer » (et vous comprendrez sans doute ces deux références, ce qui justement met en exergue le problème).
J’ai bien conscience que ce type de films remplit sans doute le cahier des charges du public visé : on a affaire à chaque fois à un divertissement, un « feel good movie », avec un message tout mignon en toile de fond. Cependant, accroître la visibilité de films à la morale approximative en allant les voir au cinéma contribue à en faire des phénomènes de société, ce qui donne malgré eux (et malgré nous) une bien pauvre image de la France actuelle : «Qu’est-ce-qu’on a fait au Bon Dieu ?» a d’ailleurs été interdit sur le territoire américain, car jugé trop raciste.


Cinéphilement parlant, le seul intérêt de ces films n’est donc pas cinématographique, mais sociologique : ils ne sont intéressants que parce qu’ils constituent un thermomètre de la France d’aujourd’hui; s’ils font de telles entrées, c’est sans doute parce qu’ils disent au public ce que celui-ci a envie d’entendre.

Marraine
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le 17 janv. 2016

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Marraine

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