Avec Reflet dans un diamant mort, Hélène Cattet et Bruno Forzani poursuivent leur exploration baroque et sensuelle du cinéma de genre. Après le giallo et le film noir, c’est au tour de l’eurospy (sous-genre populaire des années 60) de passer sous le scalpel aiguisé de leur esthétique.
Tourné en Super 16 avec des effets artisanaux, le film déploie une expérience visuelle et sonore aussi intense que stylisée : couleurs saturées, zooms brutaux, whip-pan frénétiques et surimpressions hallucinées… chaque plan semble conçu comme une fulgurance, entre impressionnisme d'avant-garde et violence tarantinesque.
Mais loin de se contenter d’un simple hommage à un genre révolu (et plus largement à l’art, tant les références abondent), le duo pousse les codes jusqu’à l’excès, jusqu’à l’épuisement. Tout ici déborde, tourbillonne, explose dans un déluge d'images mentales, fait de mouvements circulaires et de répétitions. Une réappropriation des clichés d’un imaginaire commun qui vise la profondeur viscérale.
À l’image de son générique de fin placé en ouverture (pastiche élégant des conclusions à la James Bond), le film nous plonge dans la mer avant de nous en ressortir brutalement. Une manière d’annoncer qu'on ne restera pas à la surface mais aussi et surtout qu'on ira à rebours des conventions.
Car derrière son vernis rétro, Reflet dans un diamant mort déconstruit les stéréotypes virilistes du film d’espionnage. Tandis que John D., espion vieillissant retiré sur la côte d’Azur, redoute d’être remplacé par un acteur plus jeune, les interprètes de Serpentik, elles, se succèdent dans l’indifférence générale (rappelant le sort réservé aux fameuses James Bond girls). Le film interroge ainsi les mécanismes de la fiction, en particulier la manière dont elle façonne les identités, les désirs, les genres en les assignant à des rôles figés, souvent binaires. Le recours au split-screen, à un moment du film, matérialise visuellement cette dichotomie.
Un antagoniste en particulier semble incarner ce miroir déformé. Un homme mystérieux au visage blafard dissimulé sous un borsalino semblable à celui de John, qui fait croire à ses victimes qu'elles sont dans un film. John est victime de cela, mais s'agit-il réellement d'une illusion ? Est-ce son propre reflet ? Serait-il lui-même une pure construction ? Le film joue de ces ambivalences et semble nous rappeler que nous vivons toutes et tous dans une réalité façonnée par les clichés du cinéma. Tout n’est que représentation.
Ce jeu de miroirs finit néanmoins par se fissurer. Le reflet se brise, se difracte. Et derrière le diamant mort, il ne reste qu’un simulacre.
Finalement, les diamants, c'était du toc ! Ils n'ont jamais été éternels.